Pourquoi les GAFA font tout pour ne pas payer d’impôts ?

Les GAFA utilisent systématiquement les techniques sophistiquées d’optimisation fiscale pour payer le moins d’impôt possible. La commissaire européenne Margrethe Vestager a par exemple mis en évidence qu’Apple a bénéficié d’un taux d’imposition sur les sociétés de 0.005% en Irlande en 2014. L’appât du gain et la recherche de la maximisation du profit n’expliquent pas eux-seuls cette attitude. Ce comportement est aussi la conséquence d’une posture idéologique des entreprises de la Silicon Valley. Elles sont influencées par la contre-culture des années 60 et le liberterianisme.  A l’heure où on parle de taxation des GAFA en France comme au niveau de l’OCDE, je vous invite à découvrir dans cet article pourquoi les GAFA ont ce rapport si particulier à l’impôt.

Définition : l’optimisation fiscale est l’utilisation de failles du système fiscal ou d’options fiscales (régimes dérogatoires, utilisation de niches fiscales…) afin de réduire le montant de l’imposition tout en respectant les obligations fiscales de son pays. Elle est donc légale et en cela à distinguer de la fraude fiscale.

GAFA optimisation fiscale : chronologie récente

– 30 août 2016 : l’Union Européenne condamne Apple à payer 13 milliards d’Euros à l’état Irlandais considérant illégales une partie des aides fiscales accordées par Dublin
– 31 décembre 2017, l’état irlandais n’a toujours pas recouvré un Kopeck…. situation inédite où un état à qui on doit de l’argent se bat pour ne pas être payé.
– 18 janvier 2018 : suite à la réforme Trump d’abaissement de l’impôt sur les sociétés à 20%, Apple annonce qu’il va payer 38 milliards de dollars d’impôts aux États Unis. L’entreprise va ainsi rapatrier au pays son trésor de guerre de 250 milliards de Dollars
– 24 avril 2018 : Apple et l’état irlandais annoncent avoir trouvé un accord pour le versement des 13 milliards d’Euros
– 18 juillet 2018 : l’Union Européenne condamne Google à 4.3 milliards d’€ d’amende pour abus de position dominante
– 6 mars 2019 : la France annonce la création « d’une taxe GAFA » de 3% du chiffre d’affaires réalisé en France par les GAFA
– 10 octobre 2019 : l’OCDE met sur la table une proposition de révision en profondeur des règles fiscales mondiales. Cela se traduirait par une taxation des GAFA dans les pays où sont leurs clients et non où ils sont installés
– juillet 2020 : les Etats Unis décident de quitter la table de négociation de l’OCDE sur la taxation du numérique. Au même moment la cour de justice de l’Union Européenne annule la condamnation d’Apple à rembourser 13 milliards d’€ d’avantages fiscaux.
– juin 2021 : le G7 annonce un accord un niveau minimum de taxation de 15% des bénéfices des multinationales et en particulier des GAFA. Le taux peut certes sembler faible mais ce pas était inconcevable avant l’arrivée au pouvoir de Joe Biden

GAFA les champions de l’optimisation fiscale

Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ne sont pas seulement les leaders mondiaux de l’Internet, du numérique, de la data, nouveaux maîtres du monde, affichant une capitalisation boursière supérieure à 3000 milliards de dollars… Ce sont aussi des champions de l’optimisation fiscale. Les enjeux financiers sont colossaux comme vous avez pu le voir dans la chronologie ci-dessus.

Rassurez-vous, cet article ne sera pas un cours incompréhensible de techniques fiscales. Je suis bien incapable de vous détailler les subtilités du désormais célèbre double sandwich irlandais (un nom à la Audiard!!!) et des paradis fiscaux. Ce montage a permis à Apple de bénéficier d’un taux d’imposition de 0.005% en Irlande en 2014. J’ai plutôt cherché à comprendre ce qui « philosophiquement » a mené les GAFA à adopter cette approche vis-à-vis de la fiscalité.

« GREED IS GOOD » : la recherche de la maximisation des profits

Une grande partie de la réponse est la recherche logique par une entreprise privée du profit maximal, l’appât du gain. Le « make more money » est une composante essentielle du capitalisme et en particulier du capitalisme financier américain à l’image des fonds activistes« Greed is good » disait le personnage joué par Mickael Douglas dans Wall Street. Admirez au passage le jeu d’acteur fantastique !!!

La nature des activités des GAFA est ensuite un pousse au crime. Internet n’a pas de frontière. Il est plus facile à Google de facturer en Irlande ses services publicitaires destinés au marché français qu’à mon boulanger ses baguettes. L’économie de l’Internet a mis en lumière l’obsolescence des règles fiscales traditionnelles face à cette économie du numérique. Il y avait des failles béantes. La tentation d’optimisation fiscale pour les GAFA était trop forte pour ne pas s’y engouffrer. Les négociations entre Apple et le gouvernement américain pour le rapatriement aux États Unis du trésor de guerre de la firme à la pomme sont avant tout une histoire de gros sous. Avec un taux de 35% hors de question, à 21% tout se discute.

Rendre le monde meilleur mais pas en payant des impôts

Cette classique recherche du profit par une entreprise privée n’explique pas tout dans l’attitude des GAFA. Ces entreprises ont toutes pour ambition de rendre le monde meilleur par la technologie. Elles portent un projet pour la société qui va bien au-delà la maximisation du profit pour leurs actionnaires. Visiblement le financement des États par l’impôt ne rentre pas vraiment dans leur vision d’un monde meilleur.

Leurs fondateurs sont souvent philanthropes. Mark Zuckerberg va ainsi léguer 99 % de ses actions à sa fondation pour l’enfance. Optimisation fiscale et philanthropie, cette attitude nous semble à nous Français paradoxale. Les opposants aux GAFA la qualifieront même de cynique. Elle est au contraire profondément idéologique. Pour la comprendre, il convient de faire un détour par l’histoire de la Silicon Valley.

GAFA et impôts : l’héritage de la contre-culture des années 60

La France pays jacobin et colbertiste a profondément ancré dans ses gênes le rôle d’un état stratège et organisateur de la société. Il s’en suit assez logiquement une certaine légitimité de l’impôt qui n’empêche pas chacun de pester sur son montant. C’est la phrase croustillante d’Arthur Godfrey scénariste américain : « Je suis fier de payer des impôts. La seule chose c’est que je pourrais être tout aussi fier avec seulement la moitié de cette somme »

Les entreprises de la Silicon Valley sont les descendantes de la contre-culture des années 60. San Francisco est à l’époque la capitale des mouvements hippies rejetant l’État et toute forme d’organisation hiérarchisée. Ces mouvements ont vu dans l’informatique personnelle (le fameux PC personal computer inventé en 1971) l’opportunité pour les individus de devenir plus puissants, plus libres. Il y a un petit côté anarchiste dans la Silicon Valley à l’image de la série La Casa de Papel et son hymne Bella Ciao.

La Silicon Valley c’est aussi le mythe de la réussite de l’entrepreneur individuel qui a commencé seul dans son garage pour terminer multimilliardaire à l’image de Steve Jobs. L’écosystème de la Silicon Valley est entièrement privé : entreprises privées, systèmes de financement des start-up privé et universités privées avec en particulier le rôle clé de stratège à long terme du système assuré par Stanford (université privée qui emploie pas moins de 20 prix Nobel).

GAFA optimisation fiscale et idéologie libertarienne

L’individualisme et la réussite individuelle sont au cœur des valeurs des entrepreneurs de la Silicon Valley. L’état n’a pas de place dans tout cela. Il serait même nuisible selon l’idéologie libertarienne dont la devise est : “Minimum government, maximum freedom. Les dirigeants des GAFA affichent pour la plupart une proximité avec le libertarianisme. Le journaliste Laurent Calixte dans son article très documenté (qui m’a fourni quelques exemples ci-dessous) passionnant mais angoissant et un peu trop complotiste selon moi développe même la thèse que les GAFA sont devenus les partis politiques les plus puissants de la planète… au service l’idéologie libertarienne : https://lab.davan.ac/google-amazon-facebook-sont-ils-des-partis-politiques-1fabf9aa395c. Cela explique en partie des projets comme la future monnaie Libra de Facebook.

Il cite ainsi Larry Page co-fondateur de Google qui déclarait en 2013 : “je pense que le Gouvernement va disparaître sous son propre poids, bien que ceux qui y travaillent soient très qualifiés et bien intentionnés. Steve Jobs ne faisait pas mystère qu’« Atlas Shrugged” ouvrage fondateur de l’idéologie libertarienne d’Ayn Rand était un de ses livres de prédilection.

Atlas Shrugged le livre de chevet de la Silicon Valley

Je n’avais jamais entendu parler de ce livre peu connu en Europe. Il joue pourtant un rôle clé dans l’idéologie des GAFA. Paru dans les années 50, il a connu un immense succès aux États Unis. Il s’y est vendu à plus de 10 millions d’exemplaires. Il décrit comment des entrepreneurs leaders et innovants lassés par la bureaucratie étatique et l’égalitarisme. Ils décident de se mettre en grève conduisant à la faillite du pays.

Laurent Calixte cite à ce propos Travis Kalanick patron d’Uber : « Je suis tombé l’autre jour sur une statistique intéressante, à savoir que 50% de tous les impôts de la Californie sont payés par 141.000 personnes (et la Californie est un Etat qui compte 30 millions d’habitants). Je l’ai appris alors que je venais de terminer Atlas Shrugged. Si 141.000 personnes riches de Californie se mettaient en grève, c’en serait fini de la Californie…C’est l’une des raisons pour lesquelles on ne peut pas continuer à augmenter les impôts pour payer les programmes gouvernementaux incompréhensibles qui offrent des services de mauvaise qualité. »

Peter Thiel un des co-fondateurs de Paypal et Jeff Bezos patron d’Amazon sont carrément des militants libertariens. Peter Thiel a tout simplement déclaré « au 21ème siècle, le gouvernement est devenu un force réactionnaire qui ralentit le progrès « . Il a d’ailleurs soutenu à son origine le projet fou du Seasteading Institute. Créer des villes flottantes dans les eaux internationales qui échapperaient ainsi à tout contrôle étatique. Cette utopie libertarienne mériterait à elle seule un article. J’y reviendrai peut-être.

GAFA fiscalité et soutien de l’état américain

L’état n’aurait donc pas sa place dans le schéma des GAFA. Minimum government, maximum freedom”. Moins d’impôts, c’est moins d’argent pour les états et donc plus de liberté, une optimisation fiscale libératrice en quelque sorte. CQFD!!!

Pourtant les apparences sont trompeuses. Que serait Space X la start-up d’Elon Musk fabriquant des fusées et développeur du projet Hyperloop sans les commandes de la NASA? De manière générale, la Silicon Valley ne serait rien sans le soutien de l’Etat américain et notamment du Pentagone. Les commandes de l’Etat fédéral représentent structurellement 50% du budget de Stanford sous forme de sponsored research. Les créatures auraient-elles échappé à leur maître? Pas si simple. Tim Cook déclarait à propos du rapatriement aux Etats Unis de son trésor de guerre : « Apple est une success story comme il n’en arrive qu’en Amérique. Notre soutien à l’économie américaine est une longue histoire et nous sommes fiers de le renforcer encore ». Patriotisme plutôt que libertarianisme….

Mise à jour du 18/07/2018 : GAFA optimisation fiscale et abus de position dominante

L’optimisation fiscale n’est pas le seul front de conflit entre les GAFA et l’Union Européenne. Google Alphabet vient d’être condamné à une amende record de 4.3 milliards d’€ par les autorités de Bruxelles pour abus de position dominante. La lutte de pouvoir entre les états européens et Les libertariens GAFA ne fait que commencer. Le patriotisme économique de Trump risque de peser lourd dans la balance.

Mise à jour du 06/03/2019 : vers une taxe GAFA

La proposition de la commission européenne pour mieux taxer dans l’UE les GAFA, ardemment soutenue par la France, divise les états membres. L’Allemagne notamment affiche ses réticences face aux menaces de l’administration américaine de taxer l’industrie automobile allemande. Faute d’accord au niveau européen, la France a décidé de légiférer seule. Elle a décidé la création d’une taxe de 3% sur le chiffre d’affaires réalisé par les GAFA en France. Elle est présentée aujourd’hui au conseil des ministres et devrait rapporter 500 millions à l’état.

Mise à jour du 26/04/2019 : l’optimisation fiscale de Google validée par les tribunaux

Dans sa lutte contre l’optimisation fiscale des GAFA, l’état Français et Bruno Le Maire ont perdu une manche importante face à Google. La cour administrative d’appel de Paris a en effet confirmé jeudi l’annulation du redressement fiscal de 1.15 milliard d’€ infligé par l’Etat français au géant américain Google.

Mise à jour du 01/08/2019 : Trump à la rescousse contre la taxe GAFA

Donald Trump apporte son vif soutien aux GAFA contre le projet de l’Etat français de taxe GAFA. Il le communique comme à son habitude dans un tweet rageur. Il y dénonce la « foolishness » (bêtise) de Macron sur ce sujet. Son tweet est assorti d’une menace de représailles avec la taxation des vins français. Cette sortie de Trump ne devrait pas nous surprendre. Comme l’indiquait la conclusion de l’article, les GAFA sont certes libertariens mais ils ne sont pas apatrides et ont toujours pu compter sur le soutien de l’État Américain. Trump en parle d’ailleurs comme des « Great American technology companies ».

Mise à jour du 13/09/2019 : optimisation fiscale des GAFA, Google versera un chèque de près d’1 milliard d’€ à l’État français 

Dans les affaires d’optimisation fiscale qui l’opposent à l’État français, Google a finalement choisi de transiger avec l’État français. L’entreprise américaine avait pourtant remporté les 2 premières manches devant les tribunaux. Au mois d’avril, la cour administrative d’appel de Paris avait annulé le redressement fiscal infligé par les pouvoirs publics. Google aura donc préféré faire une transaction plutôt que de voir encore traîner en longueur un conflit nuisible à son image. Gérald Darmanin Ministre des comptes publics parle d’un accord historique. Il conclut : «Avec Google, il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais procès»

Mise à jour du 10/10/2019 : l’OCDE met sur la table une taxation mondiale des GAFA

Décidément, l’actualité en cette rentrée est riche autour de l’optimisation fiscale des GAFA. C’est cette fois-ci l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) qui propose un grand bing bang fiscal. L’organisation fait le constat que les règles fiscales sont fondées sur le principe de taxation dans le pays où une entreprise dispose d’un établissement stable. Or avec le numérique, cette règle est battue en brèche. L’idée générale proposée par l’organisation est de taxer l’activité là où se trouve les clients et les consommateurs plutôt que dans la pays où est situé le siège social de l’entreprise.

Cette proposition constitue la base des prochaines négociations entre les 134 pays membres de l’organisation. Elle fera l’objet d’une présentation à la prochaine réunion des ministres des Finances du G20 en octobre à Washington. L’objectif est ambitieux, la négociation s’annonce longue et tortueuse. L’OCDE aura eu le mérite de mettre une proposition sérieuse et concrète sur la table.

Mise à jour du 20/07/2020 : les Etats Unis quittent la table des négociations de l’OCDE et la cour de justice européenne annule la condamnation d’Apple

Un mois de juillet particulièrement agité sur le front du combat pour la taxation des GAFA. L’administration Trump a annoncé sa décision de quitter la table des négociations de l’OCDE sur la taxation mondiale des géants du numérique. Elle invoque le Covid-19 mais on sent poindre la campagne électorale américaine qui rend un tel accord impossible.

En parallèle, la cour de justice européenne a annulé la condamnation d’Apple à rembourser 13 milliards d’€ d’avantages fiscaux perçus de la part de l’état irlandais. Découvrez notre article consacré à ce revers majeur pour la commission européenne.

Mise à jour du 06/06/2021 : accord au G7 pour un taux minimum de taxation des multinationales et des GAFA

Accord historique déclarait le ministre de l’économie français Bruno Le Maire suite à l’accord au G7 prévoyant d’instaurer un taux d’imposition minimal sur les bénéfices de 15% pour les multinationales et en particulier les GAFA. Un tel accord aurait été impensable sous la présidence de Donald Trump. Mais l’arrivée de Joe Biden au pouvoir a tout changé.

Ce taux de 15% peut certes sembler faible mais la négociation a déjà été âpre. Alors mieux vaut sans doute ce compromis que rien du tout. Reste maintenant à convaincre les pays du G20 à commencer par la Chine lors du sommet de Venise qui aura lieu au mois de juillet.

Il faudra ensuite 2 à 3 ans pour qu’un éventuel accord se mette en œuvre. Une éternité pour les avocats fiscalistes qui ne manqueront pas de rechercher la moindre faille dans le système. Le feuilleton va continuer.

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