Snips la start-up qui crée des assistants vocaux qui respectent votre vie privée

En cet été 2019, j’avais le techno-blues. Une application d’apparence innocente comme FaceApp pouvait se révéler un aspirateur à données personnelles… Mes lectures étaient contradictoires. Les Furtifs de Damasio décrivaient une terrible dictature technologico-libérale, terrible car potentiellement réaliste. À l’opposé, le duo Ferry Bouzou, dans Sagesse et folie du monde qui vient, montraient l’illusion du « c’était mieux avant » et invitaient à un optimisme raisonné. J’avais envie d’y croire, le renoncement au progrès technologique me semblait absurde. Et puis j’ai entendu l’interview du PDG de Snips : cette start-up française spécialisée dans l‘intelligence artificielle ambitionne de concurrencer Alexa, Siri et OK Google avec des assistants vocaux pour votre maison « privacy by design » qui ne collectent pas vos datas. L’assistant vocal avec Snips me redonnait un bol de techno-optimisme. Quelques mois plus tard, l’aventure Snips s’arrête rachetée par Sonos. L’histoire demeure malgré tout étonnante et passionnante.

Le succès considérable des assistants vocaux : Google Home, Amazon Echo…

Assistant vocal Cortana (source Wikipedia)

Google Home, Amazon Echo ces enceintes connectées intelligentes connaissent un succès mondial considérable. Rien qu’au 1er trimestre, Google et Amazon en ont vendu 6.3 millions en Europe. Après le smartphone, la commande vocale est la prochaine révolution technologique. Les futurologues prédisent que les interfaces vocales représenteront rapidement la moitié des connexions à Internet. C’est dans ce monde de géants que la start-up française Snips essaie de se faire une place.

Ces assistants vocaux vous permettent par la simple commande vocale de mettre votre morceau de musique préféré, de faire vos courses, de vous faire livrer pizzas et sushis,  d’appeler un taxi ou de réguler chauffage et volets de votre maison… Ils nous feront aussi sans doute la conversation.

Je trouve ces objets à la fois géniaux et flippants. Géniaux tant ces assistants vocaux vont nous simplifier la vie au quotidien. Et puis ils nous rappellent tant les films de science-fiction de notre enfance avec le Captain Kirk dans Star Trek ou Ulysse 31 qui discutent avec l’intelligence artificielle de leurs vaisseaux. Ils ouvrent la porte aux robots qui parlent. Je ne suis pas très loin de craquer et d’en équiper le foyer familial.

Flippants car ils flattent notre paresse et notre passivité naturelles. Ils risquent d’accélérer notre transformation en Homo Canapeus, une mutation de l’homo sapiens qui passerait ses journées entières affalé sur son canapé à dialoguer avec ses nouveaux amis bienveillants Alexa ou Siri. L’assistant vocal serait  en quelque sorte le triomphe d’Omer Simpson.

Des enceintes connectées friandes de vos datas

Alexa, Siri, OK Google, « des amis qui vous veulent du bien » mais qui surtout en veulent à vos datas. En vous rendant service toute la journée, les assistants vocaux rentrent dans votre intimité. Ils viennent compléter à merveille nos smartphones aspirateur de données personnelles. Une véritable mine d’or pour les GAFA.

Sans compter les risques de dérapage sur votre privée. Depuis son lancement, Amazon défraie régulièrement la chronique avec son sulfureux système Alexa : fuite non maîtrisée de conversation privée, règles obscures de stockage et de suppression des données… Et enfin au printemps, Bloomberg révélait qu’Amazon emploie des milliers de personnes dans le monde entier qui passent leur journée à écouter des conversations pour améliorer l’intelligence artificielle d’Alexa.

Avec ces assistants vocaux, nous acceptons d’avoir un mouchard certes sympathique mais intelligent dans nos foyers. On n’est pas si loin du télécran de 1984. Mais je vois que le techno-blues me reprend. Il est donc temps de s’intéresser à Snips et à ses assistants vocaux.

Snips la start-up française d’intelligence artificielle spécialisée dans les assistants vocaux

Snips est une jeune start-up française, fondée en 2012 par Rand Hindi et deux associés, spécialisée dans l’intelligence artificielle. Leur profil : chercheur en mathématiques ascendant entrepreneur. Le slogan de l’entreprise : « using voice to make technology disappear » (utiliser la voix pour faire disparaître la technologie) souligne l’expertise de l’entreprise en matière de commandes vocales. L’autre slogan beaucoup plus guerrier « nous voulons détruire Alexa ».

Pourtant le combat de Snips contre Amazon Alexa, c’est un peu David contre Goliath. Snips a certes levé 22 millions d’€ pour financer son développement et emploie 70 personnes. Mais la start-up française reste microscopique comparé aux mastodontes Google et Amazon. Alors comment les fondateurs de Snips comptent-ils s’y prendre pour terrasser les géants américains ?

Snips assistant vocal « privacy by design »

Les dirigeants de Snips ont d’abord une bonne dose d’audace. Et puis Rand Hindi est persuadé d’avoir trouvé le talon d’Achille d’Alexa et de ses concurrents. Il a la conviction depuis plusieurs années que l’utilisation des données personnelles par les GAFA posera de plus en plus de problème au fur et à mesure du déploiement des objets connectés dans notre quotidien. La mise en place du RGPD et le scandale Cambridge Analytica lui auront largement donné raison.

Les assistants vocaux de Snips sont « privacy by design ». Quand on parle à un objet qui dispose de l’assistant Snips, c’est l’objet lui-même qui analyse la voix. Sans qu’aucune donnée ne soit envoyée dans le cloud. Ils garantissent donc une totale confidentialité. A l’instar du moteur de recherche Qwant, les assistants vocaux Snips respectent votre vie privée. Mais alors, rétorqueront les GAFA, impossible dans ces conditions de faire progresser l’IA puisqu’on ne la nourrit pas massivement des datas collectées auprès des utilisateurs.

C’est ce défi que relève Snips avec ses assistants : sa technologie permet à la fois d’analyser la voix de l’utilisateur et d’améliorer les modèles d’intelligence artificielle au fur et à mesure mais sans jamais accéder à la donnée en premier lieu. C’est ce que Rand Hindi appelle du « machine learning décentralisé ». Il affirme avec conviction que les travaux de R&D réalisés par Snips permettent à ses assistants Snips d’être plus performants qu’Amazon Alexa.

Mais au-delà de la technologie, comment exister face aux GAFA qui disposent d’une force de frappe marketing et commerciale phénoménale quand la marque Snips n’a pas de notoriété auprès du grand public?

Snips le défi de la commercialisation face aux GAFA

Snips avait l’ambition de lancer son écosystème d’assistants vocaux Snips Air pour concurrencer directement Amazon et Google avec sa propre marque. Mais le chemin est pavé d’embûches. L’entreprise a tenté en vain l’an dernier de financer ce lancement avec une ICO (initial coin offering) un méthode de levée de fonds fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies via la blockchain. Mais elle n’a pas réussi à rassembler les 30 millions d’Euros fonds espérés.

Snips a donc choisi de contourner l’obstacle en proposant à ses clients en BtoB d’équiper leurs objets de ses assistants en marque blanche. Cette approche en marque permet à Snips de démultiplier rapidement sa technologie en équipant des objets connectés qui seront fabriqués et commercialisés par ses clients (smart home, smart buildings, industrie du loisir, banque, finance, logistique…). Pour réussir cette approche, les assistants vocaux Snips ne sont pas universels mais s’adaptent au cas d’usage spécifique de chaque client. L’interface vocale Snips de votre machine à laver sera complètement différente de celle des enceintes de votre sound system.

Crédit Snips

Une communauté de « makers » qui installent eux-mêmes leur assistant vocal

Snips s’appuie également sur une communauté de « makers », des développeurs qui installent eux-mêmes les assistants vocaux Snips sur leurs propres objets. L’entreprise revendique 33.000 développeurs dans le monde construisant leurs propres assistants vocaux grâce aux codes open source fournis par Snips. On peut installer Snips sur le plus simple des ordinateurs : le Rasperry Pi. Les connaisseurs apprécieront. J’ai ainsi découvert que si j’étais un peu geek, je pourrais grâce à Snips intégrer une commande vocale aux enceintes Sonos de mon salon.

Voilà, j’espère que comme moi vous avez trouvé passionnante cette plongée chez Snips. Je ne suis pas en mesure de juger de la pertinence technologique des interfaces vocales de Snips dans la compétition mondiale. Mais je souhaite beaucoup de succès à cette approche « privacy by design ». Elle offre une alternative prometteuse au pacte faustien qui nous est proposé par les géants du numérique : qualité de service et progrès technologique contre données personnelles.

Mise à jour 10/08/2019 : Google, Amazon et Apple suspendent les écoutes par des humains de conversations issues des assistants vocaux

Les révélations s’étaient multipliées ces dernières semaines. Afin d’accélérer l’apprentissage de leurs intelligences artificielles de reconnaissance vocale, Google, Amazon et Facebook font écouter certaines conversations par des êtres humains. Cela pose de très gros problèmes de confidentialité vis-à-vis des utilisateurs.

La révélation de cette pratique a fait monter la pression sur un sujet toujours plus sensible. Face à cette demande du grand public, Amazon, Facebook et Apple ont choisi d’y mettre fin. La pression était devenue trop forte. Ils ont dû céder. Un changement d’attitude qui montre une nouvelle fois la pertinence de la technologie Snips.

Mise à jour 10/08/2019 : Snips racheté par Sonos

David a perdu sa bataille contre Goliath. Snips ne sera pas le Alexa français, ni une licorne européenne. La start-up française a choisi de se vendre à l’américain Sonos qui valorise tout de même son savoir-faire faire à près de 40 millions de dollars.

Les fondateurs dont Rand Hindi ne seront pas de l’aventure américaine. Ils ont choisi de prendre l’argent et de se relancer dans une nouvelle aventure entrepreneuriale. Que fera Sonos de leur promesse d’assistant vocal privacy by design. Nous le verrons. J’ai chez moi un Sonos. Je serai client d’un assistant vocal qui ne m’espionne pas.

 

 

 

 

 

 

 

 

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