Ils s’appellent Katalin Kariko, Ugur Sahin, Özlem Türeci et Stéphane Bancel. Vous ne connaissez sans doute pas leurs noms et pourtant ils sont « les héros » de la course mondiale au vaccin contre le Covid19. Katalin Kariko est une biochimiste spécialisée dans la technique ARN messager dont les travaux sont largement à l’origine de la mise au point du vaccin. Uqur Sahin et Özlem Türeci sont les est les fondateurs de BioNTech, Stéphane Bancel est le PDG de Moderna. Ces 2 laboratoires n’existaient pas il y a 15 ans mais ils ont devancé tous les mastodontes du secteur. Ce vaccin nous permet de terminer cette année marquée par la Covid-19 sur une note d’espoir. Nos 3 personnages ont chacun des destins hors du commun qui nous invitent à l’optimisme à l’aube de 2021.
Préambule : ARN, ARN messager, vaccin à ARN messager, comment ça marche?
Avant de vous parler de raconter l’histoire de nos 3 personnages, je vous propose un préambule rapide sur l’ARN messager. Il n’est pas indispensable pour la suite de l’article mais devrait vous intéresser si vos connaissances en biologie étaient comme les miennes quelque peu rouillées.
L’ARN messager de l’ADN pour faire créer des protéines
L’ARN (acide ribonucléique) est une molécule qui ressemble beaucoup à l’ADN (acide désoxyribonucléique), tant par sa structure que par son nom. Il sert de base à la formation de protéines chez l’ensemble des êtres vivants. Fabriquée dans le noyau cellulaire, l’ARN messager retranscrit un morceau d’ADN : un gène ou un allèle de ce gène. Il migre ensuite vers le cytoplasme où il va permettre de permettre d’assembler des acides aminés dans l’ordre prévu par le code génétique pour former une protéine. La molécule d’ARN agit donc comme intermédiaire entre l’ADN et les protéines.
La découverte du rôle de cet ARN messager dans la genèse des protéines par les biologistes français François Jacob et Jacques Monod remonte aux années 60. La réflexion sur le principe de vaccins utilisant l’ARN messager remonte aux années 70/80 mais il aura fallu plus de 30 ans pour leur mise au point technique. C’est l’aventure de la vie de chercheuse de Katalin Kariko.
Cette vidéo explique en 2 minutes de manière très visuelle les principales étapes de l’ADN à la genèse de la protéine.
L’ARN messager une nouvelle technologie pour créer des vaccins
Dans un vaccin classique (technique découverte par Pasteur), on injecte un virus inactivé ou atténué afin que le corps sécrète des anticorps pour se défendre lui-même en cas d’attaque virale.
Le principe du vaccin à ARN messager est différent. On injecte un ARN messager de synthèse contenant le code génétique qui conduit à produire une protéine répliquant une petite partie du virus. Les cellules ayant reçus les molécules d’ARNm vont se mettre à fabriquer cette protéine petit morceau du virus. L‘organisme va en réaction produire des anticorps contre cette protéine qui le prépareront à lutter contre le virus.
Pour la Covid-19, c’est la désormais fameuse protéine spike du coronavirus (qui sert de clé d’entrée au virus dans nos cellules) que les vaccins à ARNm vont faire générer par notre organisme.
Katalin Kariko l’incroyable parcours de l’immigrée hongroise qui a découvert comment rendre l’ARN messager acceptable par l’organisme
A 30 ans, Katalin Kariko quitte la Hongrie communiste pour les Etats Unis
Katalin Kariko naît en 1955 en Hongrie derrière le rideau de fer. Elle commence sa carrière scientifique au Centre de recherche biologique de Szeged, où elle obtient son doctorat. Elle y travaille déjà sur l’ARN messager (ARNm).
Mais à 30 ans, elle est licenciée par le laboratoire. Elle décide donc de passer à l’Ouest. Alors, elle postule en France, en Angleterre, en Espagne mais faute de bourse sa candidature est refusée.
Elle finit par décrocher un emploi à l’université Temple de Pennsylvanie. Avec son mari, ils quittent donc la Hongrie en 1985 pour les Etats Unis. Pour cet aller sans retour, elle cache leurs économies dans l’ours en peluche de leur fille.
Le parcours du combattant de la chercheuse à l’université de Pennsylvanie
Elle reprend alors ses travaux sur l’ARN messager. Mais ça ne se passe pas bien. Ses travaux de recherche ne sont pas concluants. L’injection d’ARNm provoque de violentes réactions inflammatoires chez les patients. L’organisme se défend contre l’ARNm et l’élimine.
Dans le même temps, les recherches sur l’ADN tiennent le haut du pavé. Ses demandes de bourses pour financer ses travaux essuient refus sur refus. En 1995, elle est renvoyée du département cardiologie de l’université de Pennsylvanie et est rétrogradée au rang de simple chercheuse.
Mais elle s’obstine. Et avec son collaborateur Drew Weissman, ils finissent par mettre au point une légère modification de l’ARNm synthétique qui permet de tromper le système immunitaire et ainsi d’éviter les réactions inflammatoires. La révolution ARNm est en marche. C’est notamment cette découverte qui a permis l’élaboration du vaccin contre la Covid-19 et qui lui vaudra peut-être le prix Nobel de médecine.
Le temps long du chercheur : une leçon à méditer
20 ans de recherches parsemées d’embûches : belle leçon de courage et de persévérance, un trait de caractère qu’elle a d’ailleurs transmis à sa fille Susan Francia devenue championne olympique d’aviron pour les Etats Unis. Quelle famille!!!
Cette persévérance n’est pas sans me rappeler celle des chercheurs en intelligence artificielle. Les inventeurs des réseaux de neurones artificiels comme le français Yann Le Cun (aujourd’hui patron de l’IA chez Facebook) ont commencé leurs recherches dans les années 80. Ca n’est que 30 ans plus tard que le deep learning a véritablement explosé. Incroyable temps long de la recherche fondamentale dans notre Etonnante Epoque qui privilégie tant vitesse et instantanéité…
Epilogue : Katalin Kariko quitte l’université de Pennsylvannie et rejoint BioNTech
Mais les lois du business sont impitoyables. En 2008, l’université de Pennsylvanie revend l’exploitation du brevet de Katalin Kariko à Cellscript. Kariko et Weismann ont certes créé leur entreprise mais ils n’exploiteront pas complètement leur invention. Finalement, en 2013 après une nouvelle humiliation infligée par Upenn, Katalin Kariko décide de claquer la porte.
Elle a entre-temps rencontré un chercheur entrepreneur allemand Ugur Sahin, fondateur de BioNTech qu’elle rejoint comme Senior Vice President. Elle sera donc au cœur de l’aventure du développement du vaccin contre la Covid-19 par la biotech allemande.
Vous pouvez également découvrir l’étonnant parcours de Stéphane Bancel le français PDG de Moderna dans la 3ème partie de cet article.