Ces dernières semaines, les ventes spectaculaires d’œuvres numériques sous forme de NFT (Non Fungible Token) se multiplient. Le 25 février, Crossroad une vidéo de 10 secondes de l’artiste Beeple, montrant un couple de promeneurs devant le corps nu et taggé de Donald Trump déchu, se vendait pour 6.6 millions $. Quelques jours plus tard rebelote chez Christie’s, avec Everydays une image Jpeg du même artiste vendue 69 millions $. Entre-temps, Jack Dorsey PDG de Twitter mettait aux enchères pour 2.5 millions $ un NFT du 1er Tweet. Et enfin le 11 mars, un des 10.000 personnages en Pixel Art (24×24) de la collection Cryptopunks Pipe Smoking Alien a été vendu sur la plate-forme Lavarlabs pour 7.5 millions $. La NBA, MacDo, Playboy et le NY Times s’y sont mis aussi. Etonnante Epoque vous fait découvrir cette semaine ces curieux titres de propriété digitaux utilisant la blockchain.
Définition : qu’est-ce qu’un NFT?
On a longtemps pensé que numérique rimait avec fin du droit d’auteur, fin de la propriété intellectuelle. Il devenait possible de copier à l’infini les œuvres d’art. Souvenez-vous de Napster, de Kazaa, c’était il y a 20 ans. Le peer to peer tuait brutalement le CD et provoquait la complainte des artistes. Le streaming a depuis bouleversé l’industrie du disque et du cinéma.
Avec le NFT, le monde numérique réinvente le titre de propriété. Le NFT Non Fungible Token (jeton non fongible) est un fichier numérique par nature unique dont les caractéristiques spécifiques sont stockées sur une blockchain. Le NFT peut ainsi être utilisé comme un crypto-certificat d’authenticité associé à un objet digital. La blockchain sert de registre de stockage infalsifiable de ses propriétés : traçabilité du propriétaire, du créateur, date de création et historique de toutes les transactions.
Cette technologie permet aux artistes de créer des œuvres numériques uniques comme l’est un tableau original ou en nombre limité comme le sont des gravures ou des lithographies à tirage fixe. Quel intérêt me direz-vous alors qu’on peut reproduire un vidéo ou une image numérique à l’infini? Exactement le même qu’entre la Joconde originale et une reproduction aussi qualitative soit-elle.
Histoire des NFT : inventés en 2017, ils se démocratisent grâce aux improbables cryptokitties successeurs numériques des carte Pokemon
L’inventeur du standard actuel des NFT’s au nom de code ERC-721 est Dieter Shirley un informaticien américain. Il crée ces tokens « uniques et rares » pour qu’ils servent de monnaie d’échange… dans un jeu improbable « les cryptokitties ».
Dans ce jeu à la frontière entre Pokemon et Tamagotchi, les joueurs collectionnent des cartes de chats qu’ils élèvent. Les chats peuvent se reproduire. Chacun possède un génome distinct avec un ADN de 256 bits leur donnant différents attributs (cattributs) qu’ils peuvent transmettre à la progéniture. Ces chats au design enfantin et unique peuvent être vendus ou achetés, les transactions étant réalisées en crypto-monnaie sur la blockchain Ethereum (la 2ème blockchain mondiale derrière le Bitcoin). De nouveaux chats sont mis aux enchères tous les quart d’heure.
Les succès de ce jeu en apparence enfantin mais hautement spéculatif est énorme. Un mois après son lancement, il représente 10% des transactions sur Ethereum, 30 000 chats virtuels se sont vendus pour l’équivalent de 4,8 millions $. Cryptokitties en vient même à congestionner le réseau Ethereum jusque là réservé à des applications beaucoup plus sérieuses.
Autre succès improbable : le projet artistique Cyberpunks génère des centaines millions de dollars d’échanges sur la blockchain
Autre projet pionnier étonnant en matière de NFT : les Cryptopunks de Lavarlabs. Il s’agit d’une collection de 10.000 personnages dessinés en Pixel Art au look plutôt amusant. Chaque dessin est bien sûr unique avec son NFT sur la blockchain Ethereum. Au départ, Cryptopunks était un projet artistique genèse d’un nouveau mouvement le Cryptoart moderne. Les possesseurs de portefeuille Ethereum pouvaient d’ailleurs obtenir un Cryptopunk gratuitement.
Mais devant l’engouement, le marché des Cryptopunks est rapidement devenu lucratif et Lavarlabs organise aujourd’hui une véritable bourse d’échange. Et les collectionneurs se les arrachent. Le site Lavarlabs communique des chiffres impressionnants : 7358 transactions au cours des 12 derniers mois d’un montant moyen de 25.513$ soit un total de 188 millions de dollars. Dernier événement en date le 11 mars, le CryptoPunk #7804 s’est vendu 4.200 Eth soit 7.5 millions de $. Avant-garde géniale ou folie, l’avenir nous le dira!!!
La plateforme Nifty Gateway fait exploser le marché
Face à ce succès, de nombreuses plateformes d’achats et de ventes de NFT se développent sur Internet comme Rarible ou Opensea. Parmi elles, se distingue tout particulièrement la plateforme Nifty Gateway propriété des jumeaux Winklevoss. Ce nom vous dit peut-être quelque chose si vous avez vu le film « the Social Network » qui raconte la naissance de Facebook. Ce sont bien les 2 frères jumeaux beaux gosses, champions d’aviron présentés par le film comme les vrais inventeurs de Facebook et abusés par Marc Zuckerberg.
Nos deux frères sont depuis cette mésaventure devenus les premiers milliardaires en Bitcoin. Ils rachètent fin 2019 Nifety Gateway. Le principe de la plateforme est événementiel : elle met aux enchères tous les jours des « drops » de NFT proposés par un artiste selon le principe du tirage en nombre limité.
La plateforme a fait un énorme travail pour attirer des stars notamment des rappeurs (comme Lil Yachty ou Lil Pump) qui y voient un nouveau moyen de proposer des œuvres inédites à leur public et d’encaisser des dollars.
Les jeunes artistes numériques voient dans les NFT une nouvelle façon de faire connaître leurs œuvres. C’est par exemple le cas du collectif français Obvious, créateur des fameux portraits générés par une intelligence artificielle vendus chez Christie’s, qui commercialise ses œuvres sous forme de NFT depuis 2018 sur la plateforme Superrare.
La démocratisation du NFT attire maintenant les stars du milieu. C’est notamment le cas de Mike Winkenmann alias Beeple l’un des artistes numériques mondiaux les plus en vue. Un cercle vertueux auto-entretient la dynamique.
La NBA s’y met aussi, les NFT Ronaldo et Mbappe battent des records
La NBA s’y met aussi. Elle a créé Topshot la version 2.0 de l’album Panini sous forme de NFT’s en lien avec Dapper Labs nouvelle société de Dieter Shirley. On ne s’échange plus un pack de cartes mais un pack de Moments digitaux : extrait de matchs, action marquante, photo de joueurs… Chaque moment est bien sûr unique authentifié par un NFT. Un succès colossal est au rendez-vous. La bourse aux échanges fonctionne à plein. Un « Moment » de LeBron James a atteint les 208 000 dollars !
Le foot n’est pas en reste. Sur le jeu de football Sorare, les cartes uniques des stars européennes du ballon rond s’arrachent : à 290.000$ celle de Cristiano Ronaldo vient de battre le record établi précédemment par celle de Kylian Mbappe à 72.000$ en février. On avait déjà vu des maillots originaux de joueurs atteindre des sommes astronomiques. Désormais avec les NFT, les reliques du XXIème siècle seront numériques, authentifiées par la blockchain
Le curieux univers des plateformes NFT : entre site marchand, galerie d’art numérique et esprit Instagram
Je suis allé faire un tour sur les plateformes de NFT et je suis arrivé dans un univers étrange pour le néophyte. Ce sont indiscutablement des sites marchands. Ici l’argent n’est pas tabou. Les œuvres sont mises aux enchères avec des prix affichés clairement. Les best-sellers sont mis en avant ainsi que les « hot collections ».
Il y a ensuite un petit côté galerie d’art moderne. Le pire côtoie le meilleur avec des œuvres qui m’ont beaucoup plu et beaucoup de croûtes numériques, du moins à mon sens. Narcissique, le crypto-art met en scène son propre univers. On ne compte plus les petites vidéos NFT qui mettent en scène le logo d’une cryptomonnaie ou les stars de la tech. Sous forme de Gif, certaines œuvres rappellent les mèmes que l’on trouve sur Instagram ou sur Tik Tok.
Qui sont les acteurs de la communauté NFT? Qui sont les acheteurs de NFT?
Toutes ces sommes vous paraissent sans doute folles. Vous vous demandez qui sont les acheteurs qui dépensent ces fortunes en NFT.
La communauté NFT est très hétérogène. On y retrouve des collectionneurs d’art moderne avant-gardistes, des passionnés mais surtout des investisseurs en cryptomonnaie. Ils ont gagné beaucoup d’argent en achetant du Bitcoin ou de l’Ethereum. Ils trouvent avec les NFT un nouveau moyen de placer les « liquidités » en cryptomonnaie dont ils disposent.
Il y a donc structurellement un aspect spéculatif dans cette folie des NFT. La plupart des acteurs du marché sont à la recherche de profits rapides avec une double spéculation : sur le NFT et sur la cryptomonnaie de la blockchain qui le supporte. L’aspect artistique est le plus souvent secondaire. On peut gagner ou perdre gros sur ce sulfureux marché, ambiance Las Vegas électronique. A un moment où le monde regorge de liquidités, le marché des NFT a de beaux jours devant lui.
Mais une empreinte carbone qui pose question
Mais il y a un hic dans tout cela. Les transactions de NFT nécessitent des opérations de dite de « minage » très intenses en calcul pour rendre la blockchain infalsifiable. Elles sont donc extrêmement énergivores. Les jeunes artistes numériques souvent engagés pour l’environnement se retrouvent donc face à un dilemme entre leurs convictions écologiques et l’attrait pour ce nouveau mode de commercialisation de leurs oeuvres comme l’explique cet article de The Wired. Le modèle actuel des NFT n’est pas soutenable en termes d’empreinte carbone du numérique. Des solutions sont à l’étude….
NFT la frénésie s’empare des marques : du New York Times à Playboy en passant par Mac Do
La soudaine médiatisation des NFT a provoqué un engouement massif. Toutes les marques se mettent à vouloir faire des NFT. Le New York Times s’est précipité pour vendre des chroniques sous forme de NFT. Un article du journaliste Kevin Roose s’est vendu 560.000$. Playboy se lance aussi dans l’aventure et annonce un partenariat avec NiftyGateway. On pourra enfin acheter une playmate en NFT. Gros buzz en perspective.
La frénésie s’empare des marques. Tout le monde veut sa part du gâteau. Enfin une possiblilité de monétiser du contenu numérique après tant d’années de frustration de contenu gratuit. Même Mac Do s’y met. Sa dernière opération promotionnelle permettra d’obtenir un Big Mac en NFT.
Nous vous le disions dans l’article, la spéculation semble congénitale aux NFT. Alors feu de paille ou tendance durable, l’avenir le dira.
De plus en plus époustouflant le rythme d’apparition de nouveautés; j’ai le plaisir d’être informé à la meilleure source mais à 78 ans j’ai peine à suivre. Les machines à faire de l’argent vont encore plus vite que la bourse.
Je suis encore une fois fasciné par la qualité pédagogique des parutions autant sur le fond que sur la forme : en un temps si bref nous sont proposées des informations approfondies qui nous font pénétrer dans un monde encore plus étonnant que celui d’Alice. Que ces merveilles soient au service d’un vrai progrès humain
Merci Jean-Loup de tes commentaires toujours élogieux. Ce qui est fascinant dans ces NFT, c’est d’un côté l’aspect artistique incontestablement intéressant et novateur et de l’autre l’aspect spéculatif, argent facile qui est complètement fou dans tous les sens du terme