Empreinte carbone du numérique

Rapide inventaire de la quincaillerie numérique d’une famille parisienne de 5 personnes : 5 smartphones, 4 PC, 2 tablettes, 3 liseuses, une Livebox, Netflix, Spotify… Un pan entier de la cuisine a été transformé en réserve à chargeurs de batteries. Le petit Nokia, dont la batterie tenait plusieurs jours, appartient à la préhistoire du numérique comme le Minitel. Je n’ai donc été qu’à moitié été surpris par les chiffres avancés par le think tank The Shift Project dirigé par Jean-Marc Jancovici dans son rapport « pour une sobriété numérique »  : augmentation forte de (9%/an) de la consommation énergétique liée au numérique. Le numérique c’est du virtuel. Je pensais donc l’impact du secteur marginal dans le réchauffement climatique. Il n’en est rien : l’empreinte carbone du numérique est loin d’être neutre.

Il représente désormais 3.7% des émissions de gaz à effet de serre mondiales contre 2.5% il y a 5 ans. Un bilan environnemental en termes d’émissions de GES plus lourd que celui du transport aérien (source rapport lean ICT the Shift Project). Un sujet qui questionne à l’heure du déploiement de la 5G

Empreinte écologique du digital : l’explosion du volume des datas

Vidéos en streaming, utilisation intensive des réseaux sociaux, tweets, SMS, MMS, échanges de mails avec des fichiers toujours plus gros, live chat, jeux en réseau comme Pokemon Go, applications GPS (Waze…), développement des objets connectés… demain voitures autonomesLe volume de données numériques échangées dans le monde explose. Il double environ tous les 2 ans suivant en cela la fameuse loi de Moore sur la puissance des microprocesseurs. Ces données, il faut les transporter et les stocker. Le digital devient alors physique, consommateur d’énergie et émetteur de gaz à effet de serre. L’empreinte empreinte carbone du numérique augmente très rapidement.

De gigantesques data centers, pas vraiment écologique!

Le fameux cloud n’est pas vraiment dans les nuages. Les données sont stockées dans des data centers toujours plus gigantesques. La gestion de data centers est devenue une véritable industrie. La page de l’hébergeur du site Étonnante Époque OVH est de ce point de vue éloquente. Les data centers d’OVH et de ses concurrents sont de véritables sites industriels, usines à stocker des données. A ce titre, comme un industriel classique, OVH revendique des certifications pour ses data centers : ISO 270012005 pour la fourniture et l’exploitation d’infrastructures dédiées de Cloud Computing, attestations SOC 1 et 2 type II pour 3 datacenters en France et 1 au Canada attestant du niveau de sécurité de la solution Cloud Privé.

Les exploitants de data centers ont vite été confrontés à la problématique de l’efficacité énergétique de ces centres. En effet, les serveurs comme nos bons vieux ordinateurs chauffent. Un data center devient ainsi une véritable usine à fabriquer de la chaleur. Il faut donc en permanence le refroidir pour éviter une surchauffe des serveurs. Résultat, les data centers représentent près de 10% de l’électricité consommée dans le monde dont près de la moitié est destinée aux systèmes de refroidissement. 

La consommation d’énergie d’un gros data center peut représenter à elle seule l’équivalent d’une ville française de 100.000 habitants. En 2017, Greenpeace lance une grande campagne de communication « Build a greener Internet » et publie un classement de la performance énergétique des géants du net. Il y vilipende fortement Netflix. La société a depuis décidé d’arrêter complètement l’exploitation de data centers. Certains acteurs comme Google ou Ecosia ont une politique active pour un approvisionnement en énergies renouvelables de leurs data centers. Effort louable mais incomplet quand le vent et le soleil ne sont pas au rendez-vous.

Empreinte carbone du numérique : la problématique de l’efficacité énergétique des data centers

Avec l’explosion du volume des données, l’amélioration de l’efficacité énergétique des data centers devient un véritable enjeu industriel. La créativité technologique de notre étonnante époque s’est mise en route.

Climatiser les data centers, hors de prix économiquement et écologiquement!!! Les industriels des data centers ont donc développé des systèmes toujours plus sophistiqués de water cooling ou de free cooling utilisant l’air ambiant quand il est frais.

Les data centers poussent comme des champignons dans les pays froids : pays scandinaves, Canada… Des innovations de rupture sont à prévoir. Microsoft a lancé Natick un projet de data center sous-marin qu’il teste actuellement au large des côtes écossaises : les froides eaux de la mer du Nord refroidiront les datas stockées par Microsoft.

Pour comparer la performance énergétique des data centers, un indicateur a été mis au point qui permet de les comparer entre eux : le PUE (power usage effectiveness). Les progrès sont spectaculaires : le PUE moyen des data centers européens était de 2.5 en 2013, les nouveaux data centers affichent une valeur de 1.2 soit une division par 2. 

Vers une nécessaire sobriété numérique pour un meilleur bilan carbone

Mais le volume des données double lui tous les 2 ans. On voit donc bien que cette amélioration ne permet pas de compenser la croissance exponentielle des quantités de données à stocker. Notre salut pour enrayer la progression de l’empreinte carbone du numérique ne pourra venir du seul progrès technologique. Il passe aussi dans le numérique par le changement de nos comportements.

Le rapport du shift project (s’inspirant de la « sobriété heureuse » de Pierre Rahbi) nous invite à la sobriété numérique.Il propose des pistes concrètes pour la mettre en œuvre comme notamment prolonger au maximum la durée de vie de notre quincaillerie numérique (passer de 3 à 5 ans un ordinateur portable réduit de 37% son empreinte carbone), ne pas trop abuser des vidéos en ligne et autres pièces jointes volumineuses… Le rapport nous incite ainsi à « retrouver une capacité individuelle et collective à interroger l’utilité sociale et économique de nos comportements d’achat et de consommation d’objets et de services numériques, et d’adapter nos comportements en conséquence. ». L’Ademe a publié un petit guide pratique la « face cachée du numérique » pour y arriver.

Ce qui m’a frappé, c’est la similitude de cette problématique avec tous les autres sujets concernant le réchauffement climatique. La réussite passera essentiellement par un changement en profondeur de nos comportements et non par le seul progrès technologique. Nous voyons tous (moi le premier) que le numérique nous envahit toujours plus avec des conséquences environnementales mais aussi sociales. Le numérique c’est bien. Mais nous savons bien au fond de nous que c’est souvent trop et pourtant pour l’instant, nous ne changeons pas. Bien au contraire, nous succombons tous les jours un peu plus aux charmes addictifs des offres des GAFA

Alors comment réduire l’empreinte carbone du numérique ?

Je dois avouer humblement que je ne sais pas si je changerai vraiment après avoir écrit cet article.  Est-ce que je prendrais des mesures « radicales » comme résilier mon abonnement Netflix ou arrêter de jouer en réseau au jeu vidéo? Et vous seriez-vous prêts à renoncer au streaming? Arriverez-vous à convaincre vos enfants de réduire leur consommation de Youtubers? Je sais, nous savons et pourtant je/nous ne changeons pas vraiment. Pour être plus optimiste, je change, nous changeons par petites touches. L’heure du déclic se rapproche?

Mise à jour du 14/09/2019 : impact environnemental des vidéos en ligne

Dans une nouvelle publication de juillet 2019 le Shift Project sur l’empreinte carbone du numérique fait un zoom sur la vidéo en ligne dans un article intitulé « climat l’insoutenable usage de la vidéo en ligne ». Les chiffres sont malheureusement implacables. 80% du flux de données et donc de l’empreinte carbone du numérique provient des flux vidéos. Au banc des accusés en % de répartition du flux de données  :  34% pour la VOD avec Netflix et autres acteurs, 27% pour les sites de vidéos pornographique comme Youporn, 21% pour Youtube et ses concurrents et enfin 18% pour les vidéos sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Tik Tok…).

Bien entendu cet usage est en forte croissance et devrait exploser avec l’arrivée de la 5G. Un comportement de plus sur lequel nous devrons évoluer.

Mise à jour du 02/03/2020 : la consommation énergétique des data centers n’a pas explosé entre 2010 et 2018

C’est une bonne surprise que révèle une étude publiée par la revue Science. La consommation énergétique des data centers n’aurait progressé que de 6% au cours entre 2010 et 2018 et ce malgré une multiplication par 5 de la quantité de calcul dans les data centers lors de cette période. Comment expliquer cette complète décorrélation? Le parc de data centers s’est complètement transformé pendant cette période. Les data centers géants développés par les GAFAM ou encore par les acteurs du cloud comme OVH ont largement remplacé les petits data centers très énergivores.

Mais les auteurs de l’étude affirment ne pas être en mesure de prévoir si ce découplement entre quantité de données et consommation énergétique des data centers va se poursuivre. Si la consommation de datas continuera sans aucun doute à se développer notamment avec l’arrivée de la 5G, l’amélioration de l’efficacité énergétique des data centers pourrait arriver à une asymptote. La recherche et développement est importante en la matière. Des ruptures technologiques ne sont pas à exclure.

Mais l’empreinte carbone d’autres technologies numériques comme les cryptomonnnaies explose également.  Pour limiter l’empreinte carbone du numérique, nous n’échapperons pas à une réflexion sur la sobriété numérique.

Mise à jour du 19/12/2020 : le Haut conseil pour le climat alerte sur les conséquences du déploiement de la 5G sur l’empreinte carbone du numérique

Le Haut conseil sur le climat invite dans un avis de décembre 2020 à « maîtriser l’impact carbone de la 5G ». Son communiqué présente les enjeux de manière factuelle et claire. Le numérique représente 2% des émissions de GES en France, 75% provenant des équipements (terminaux, réseaux, centres de données).

Avec la 5G, cette empreinte augmenterait de 20% à 45% suivant l’intensité du déploiement. C’est à la fois beaucoup et peu. Peu car on ne peut pas parler d’explosion, beaucoup car dans le même temps l’Union Europénne se donne l’ambition de diminuer de 55% ses émissions d’ici 2030.

Le Haut conseil pour le climat recommande, pour maîtriser l’impact carbone de la 5G, de :

– Eclaircir les enjeux climatiques en amont du déploiement de technologies telles que la 5G

– Imposer la maîtrise de l’empreinte carbone aux opérateurs disposant de fréquences 5G

-Tenir compte des effets sur la demande d’électricité et de ses implications pour le système européen d’échange de quotas d’émissions

– Agir sur les émissions importées liées au numérique par l’offre d’équipements

– Informer, sensibiliser et responsabiliser les usagers, les particuliers et les entreprises aux bonnes pratiques qui évitent le gaspillage ou l’utilisation disproportionnée d’énergie associée aux services numériques

 

Seul angle mort de ce communiqué et il est de taille, le HCC refuse d’intégrer dans ses calculs les apports de la 5G à la transition bas-carbone (diminution de la demande en transport, amélioration de l’efficacité énergétique, etc.) indiquant qu’ils reposent actuellement sur peu d’évaluations quantifiées.

 

Commentaires (6)
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  • Jean-Loup Salètes

    Article toujours bien informé introduisant une problématique claire sur un grand sujet de société avec des enjeux capitaux. J’apprécie qu’il n’enferme pas les solutions dans des seules décisions politiques ou des actions militantes mais nous renvoie à notre comportement, notre marge d’action personnelle : il manque peut-être une composante, celle du temps gaspillé, de celui à reconquérir pour notre meilleur disponibilité dans les relations humaines et la relation avec nous-même, avec un regard à poser sur les beautés du monde et non pas seulement sur les écrans.
    Le bénéfice secondaire trouvé dans un changement qui coûte est le gage d’un succès durable

    • Ban500

      Merci Jean-Loup de ce commentaire sympathique et pertinent. Je passe un certain temps devant les écrans… sans doute trop… Tu m’encourages à la sobriété numérique.

  • Iza

    Magnifique article, merci beaucoup pour cette analyse 🙂

    • Ban500

      Merci

  • REPLAY ET ARTICLE MEDIA | Pearltrees

    […] La 5e génération de téléphonie mobile doit être déployée dans les mois qui viennent sur le territoire français. A cela, deux préalables. D'abord que les 4 opérateurs – Orange, Bouygues Telecom, SFR et Free – aient la possibilité d'émettre sur les bandes de hautes fréquences compatibles avec ce service. Les opérateurs et leurs partenaires doivent en parallèle quadriller le territoire de nouvelles antennes 5G ; quand aux usagers, ils devront changer de téléphones pour investir sur des mobiles adaptés à cette nouvelle technologie. ETONNANTE EPOQUE 03/11/19 EMPREINTE CARBONE DU NUMÉRIQUE. […]