Affaire H&M Ouïghours : boycott contre boycott

Après l’affaire Tik Tok aux Etats Unis, qui nous avait tenu en haleine en 2020, un nouveau bras de fer commercial entre la Chine et les pays occidentaux démarre. Les tensions avec les pays occidentaux au sujet des Ouïghours ont déclenché depuis quelques jours le boycott en Chine de grandes marques occidentales notamment H&M, Nike ou encore Uniqlo. A l’origine du courroux des consommateurs chinois, la décision de ces marques d’arrêter d’acheter du coton en provenance du Xinjiang en réaction aux révélations sur le travail forcé des Ouïghours. Boycott contre boycott, la Chine réagit en utilisant avec habileté et brutalité. Décryptage de cette affaire révélatrice des tensions de la mondialisation loin de l’utopie libre-échangiste.

En 2020, un think tank australien publie un rapport accablant sur le travail forcé des Ouïghours dans les usines chinoises

Il y a quelques semaines, une de mes filles m’explique qu’elle n’achète plus rien chez Zara en raison de l’exploitation des travailleurs Ouïghours par certains fournisseurs de la marque. Je me réjouis spontanément de cette nouvelle n’ayant pas une folle passion pour ces boutiques de fast fashion. Mais ce soudain intérêt d’une adolescente parisienne pour les Ouïghours m’interpelle.

L’affaire commence en fait en mars 2020. Un think tank australien l’ASPI (Australian Strategic Public Institute) publie un rapport « Uygurs for sale » (Ouïghours à vendre). Ce document très complet est accablant. Il détaille précisément le transfert forcé de 80.000 travailleurs Ouïghours de leur région d’origine l’Ouest du Xinjiang vers des usines à travers toute la Chine. Cette déportation rappelle des pages sombres de l’histoire du XXème siècle.

Ce rapport pratique la technique du « name and shame » (« nommer et couvrir de honte »). Il identifie précisément 27 sites industriels coupables de ces pratiques, dans 9 provinces chinoises. Ces usines revendiquent d’être les fournisseurs d’une longue liste de 82 marques mondiales comme Abercrombie & Fitch, Acer, Adidas, Amazon, Apple, Bosch, Electrolux, H&M , Lacoste, Mercedes-Benz, Microsoft, Mitsubishi, Nike, Polo Ralph Lauren, Puma, Uniqlo, Victoria’s Secret, Volkswagen, Zara…

ASPI appelle ces marques à faire pression sur leurs fournisseurs pour mettre fin à ces pratiques. La charge est lourde et éminemment politique. ASPI n’est pas vraiment une ONG à tendance gauchiste mais un think tank largement financé par le ministère de la défense australien. L’affaire prend d’emblée une tournure géopolitique.

L’eurodéputé Raphaël Glucksmann interpelle les marques sur les réseaux sociaux sur le travail forcé des Ouïghours notamment H&M

Pourtant dans un premier temps, ce rapport ne produit guère d’effet et semble condamné à prendre la poussière. Mais un homme va tout changer. L’eurodéputé Raphaël Glucksmann s’empare du sujet. Il décide de tout mettre en œuvre pour le mettre sur la « place publique » (Place Publique est le nom du mouvement politique citoyen qu’il a fondé).

Son arme : les réseaux sociaux. Il multiplie posts et opérations de communication sur Twitter et Instagram.  Il y interpelle les marques et les somme de renoncer aux approvisionnements chinois suspects de travaux forcés ouïghours et demande à les rencontrer une à une.

Ce mouvement est massivement suivi par les jeunes français sur les réseaux sociaux. Et les lignes bougent. Lacoste s’engage en juin 2020 à cesser toute activité avec des fournisseurs ou des sous-traitants impliqués dans l’exploitation des Ouïghours. En septembre 2020, c’est H&M qui renonce à travailler avec Huafu Fashion l’une des entreprises chinoises incriminée pour le travail forcé des Ouïghours.

La campagne de Raphaël Glucksmann fait bouger les lignes, Antoine Griezmann rompt son contrat avec Huawei

Progressivement sur la fin 2020, la pression s’accentue sur la Chine. De terribles images des camps de travail du Xinjiang sont diffusées par les médias occidentaux. Raphaël Glucksmann appelle sur Instagram à l’occasion du nouvel an chinois à publier un carré bleu aux couleurs bleu ciel des Ouïghours. Son post recueille près d’1 million de likes.

Fin novembre, il lance un appel au boycott de Zara qu’il accuse de mentir délibérément depuis des mois

Au mois de décembre, le footballeur Antoine Griezmann annonce rompre son contrat avec l’équipementier chinois Huawei. Il déclare : « suite aux forts soupçons selon lesquels l’entreprise Huawei aurait contribué au développement d’une « alerte Ouïghour » grâce à un logiciel de reconnaissance faciale, j’annonce que je mets un terme immédiat à mon partenariat me liant à cette société ».

Face aux menaces de boycott des jeunes consommateurs, les marques bougent. La campagne enregistre de nombreux succès. On y voit en Occident un signe de la moralisation du capitalisme sous la pression des consommateurs sur les réseaux sociaux.

Travail forcé dans les champs de coton : les révélations du chercheur allemand Adrian Zenz provoquent des sanctions internationales

En décembre, le chercheur allemand Adrian Zenz publie un nouveau rapport accusateur sur l’utilisation massive du travail forcé d’au moins 500.000 ouigours pour les récoltes de coton au Xinjiang. Ces nouvelles révélations font l’effet d’une bombe : 20% du coton produit dans le monde provient de cette région. Tout le monde porte potentiellement des T-shirt avec du coton fabriqué dans cette région.

Ces révélations provoquent une réaction au niveau des états. En janvier 2021, les Etats Unis, le Canada et le Royaume Uni annoncent la suspension des importations de coton provenant du Xinjiang. En mars, l’Union Européenne, toujours plus lente sur ce type de sujet, annonce des sanctions contre 4 dirigeants chinois. C’est une première depuis la répression des manifestations de la place Tiananmen.

Affaire Ouïghours : la Chine réplique en appelant au boycott de H&M sur les réseaux sociaux

Face à cette pression internationale, la Chine riposte immédiatement. 10 ressortissants de l’Union Européenne dont Raphaël Glucksmann font l’objet de sanctions. Il n’ira pas passer à Pékin ou à Hong Kong ses prochaines vacances avec sa compagne Léa Salamé.

Mais les Chinois sont bien décidés à ne pas s’arrêter là. « Qui connaît son ennemi comme il se connaît, en cent combats ne sera point défait. » disait Sun Tsu dans l’Art de la Guerre. Pour leur réplique, ils vont appliquer à merveille cette maxime. Ils vont montrer qu’eux aussi savent manier l’arme du boycott et de l’opinion publique. Ils l’avaient déjà testée contre la NBA lors de la crise de Hong Kong. Et H&M va être la victime de ces tensions autour des Ouïghours.

L’offensive commence par un post sur le compte Weibo (le Twitter chinois) des jeunesses communistes chinoises exhumant une publication de 2020 de H&M sur le travail forcé des Ouïghours assortie du commentaire suivant : « Répandre des rumeurs pour boycotter le coton du Xinjiang, tout en voulant aussi gagner de l’argent en Chine ? Un vœu pieux ! ». Le post fait aussitôt le buzz et devient vite le sujet le plus commenté sur Weibo le 23 mars avec près de 200 millions de vues autour du hashtag « #Le coton blanc comme neige au Xinjiang ».

La marque subit un déchaînement des messages nationalistes relayés par les médias notamment CCTV qui accuse H&M de « manger le riz chinois tout en cassant le bol ». Dans la foulée, miroir de l’attitude d’Antoine Griezmann, les stars de cinéma Song Qian et Huang Xuan égérie de la marque décident de mettre fin à leur collaboration avec l’entreprise suédoise.

H&M disparaît brusquement des sites de E-commerce et de géolocalisation chinois

Mais les Chinois ne s’arrêtent pas là. Les produits d’H&M disparaissent brusquement des principaux sites de E-commerce chinois Taoboa et Tmall (du groupe Alibaba), JD. com ou encore Pinduoduo. Plus cocasse, les magasins H&M ne figurent plus sur les applications de géolocalisation comme Apple Maps ou Baidu Maps. Et l’appli H&M a disparu des boutiques d’applications des fabricants de téléphones chinois (notamment Huawei, Xiaomi et Oppo).

En Chine, marques et personnes peuvent disparaître de la toile du jour au lendemain. Les actrices Fan Binbing et Zhao Wei en ont fait les frais.

Cette affaire Ouïghours est un coup rude pour H&M qui compte près de 500 magasins en Chine. Il y a réalisé 5% de son chiffre d’affaires en 2020. Et ce marché est stratégique à un moment où le Covid affecte lourdement son business en Europe.

H&M publie d’ailleurs un communiqué d’apaisement le 31 mars où le groupe déclare « Nous nous engageons à regagner la confiance de nos clients, collègues et partenaires commerciaux en Chine. En travaillant avec les parties prenantes et les partenaires, nous croyons que nous pouvons prendre des mesures dans nos efforts conjoints pour développer l’industrie de la mode, ainsi que servir nos clients et agir de manière respectueuse. »

 

Après H&M, Uniqlo et Nike dans le viseur des Chinois suite à leurs prises de position en faveur des Ouïghours

Après H&M, les Chinois décident d’étendre leur attaque à d’autres marques emblématiques comme Uniqlo ou encore Nike. On a ainsi vu circuler sur les réseaux sociaux des vidéos où des internautes chinois brûlent des paires de Nike. Une situation qui n’est pas sans rappeler les grandes heures de la révolution iranienne. Nike y réalise près de 20% de son chiffre d’affaires. On voit mal les dirigeants de Nike renoncer à cette manne chinoise.

Quand on connaît la maîtrise de l’Internet chinois par le gouvernement symbolisée par le fameux social credit system, nul doute que le parti communiste chinois est à la manœuvre. Et il démontre sa redoutable efficacité. Le textile chinois avec des marques comme SHEIN est d’ailleurs à la conquête du monde.

De son côté, Raphael Glucksmann est resté relativement silencieux sur Twitter et Instagram ces derniers jours. On l’a juste vu s’attaquer « timidement » à Hugo Boss. Avec son offensive éclair, la Chine aurait-elle déjà gagné la bataille? On peut malheureusement le craindre. Alors, la perspective d’une mondialisation pacifiée par le commerce s’éloigne encore plus. Affaire à suivre!!!

Mise à jour du 18/08/2021 : les ventes de H&M en forte croissance au 2ème trimestre mais un impact important du boycott chinois

H&M a annoncé en juillet un bond de 62% de son chiffre d’affaires sur la période de mars à mai. Son activité est presque revenue à son niveau d’avant la crise du Covid (qui est un point de comparaison plus pertinent).

Seule ombre au tableau pour le géant suédois, son activité en Chine a reculé de 32% par rapport au trimestre précédent (sans que la marque ne confirme la corrélation avec le boycott). La Chine était devenue le 3ème marché pour H&M. Elle passe au 6ème range. elle n’a représenté que 3,5% de son chiffre d’affaires sur la période contre 6% sur la période décembre 2020-février 2021.

Quant à la mobilisation des jeunes européens en faveur des Ouighours, elle semble s’être volatilisée avec les beaux jours…. comme un effet de mode!!!!

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