Olena ukrainienne à Paris

Drôle de mois de juillet : il flottait dans l’air parisien comme un parfum de légèreté. Les nuages s’amoncelaient à l’horizon mais les parisiens avaient choisi la nonchalance. Jamais depuis longtemps les terrasses des cafés n’avaient été aussi bondées. On y parlait bruyamment de ses futures vacances. Et dans le même temps, le périph ne désemplissait. Les touristes étaient de retour et il était même redevenu difficile de trouver un taxi dans la ville. Retour à la normale? Inflation, guerre en Ukraine, reprise du Covid, pays ingouvernable, canicule prématurée, de tout cela la foule ne voulait plus entendre parler. Après ces deux rudes années marquées par le coronavirus, tout le monde, moi le premier, avait envie de souffler et de vivre intensément l’instant présent. C’est dans cette atmosphère particulière qu’Olena est arrivée à Paris. Cette Ukrainienne avait trouvé refuge depuis quelques mois chez mon beau-frère et ma belle-sœur. Et nous avions le plaisir de l’accueillir quelques jours chez nous.

 

Depuis Twitter, la guerre en Ukraine habite mes journées

Ukraine street art Paris

Depuis quelques mois, je suivais intensément la tragédie ukrainienne. Branché sur Twitter, j’y lisais avec frénésie les commentaires des différents analystes militaires (Cédric Mas, Michel Goya, Olivier Kempf… quelques comptes que je recommande pour ceux qui souhaitent s’informer de manière équilibrée sur le conflit, merci à eux pour leur travail).

J’étais sonné par ces images de villes rasées par l’aveugle artillerie russe. Kharkiv, Severodonetsk, Sloviansk, Kramatorsk, Lviv, Odessa, Kherson, je visualisais désormais mieux la géographie ukrainienne que le collégien moyen ne connaît celle de l’Hexagone dans notre école défaillante en la matière.

Mais malgré les images, cette horreur demeurait relativement abstraite à l’instar de ces cartes d’état-major où les hommes qui se battent sont de simples points bleus et rouges. Ma génération ignore la guerre. Personnellement, je n’ai jamais tenu un fusil dans les mains.  Je ne pensais pas vivre ce que les spécialistes appellent un conflit de haute intensité sur le sol européen.

Olena réfugiée ukrainienne en France

Gymnase accueillant des réfugiés en Pologne

Et puis Olena est arrivée. Elle vient justement de Kherson cette grande ville du Sud de l’Ukraine conquise par les Russes lors des premiers jours de la guerre, sur la route vers Odessa. Elle était à ce moment là Lviv (dans l’Ouest du pays). Ainsi, elle a pu quitter l’Ukraine laissant derrière elle son mari.

Ses parents n’ont pas eu cette chance. Ils sont restés bloqués à Kherson. Elle nous raconte les larmes aux yeux comment ils ont cherché à quitter la ville. Mais ils ont dû rebrousser chemin après avoir passé plus d’une vingtaine de check-points de l’armée russe. A chaque fois, l’envahisseur y contrôle leurs papiers et fouille leur véhicule. Lors d’un des contrôles, des soldats russes particulièrement nerveux contraignent son père à se déshabiller à la recherche d’éventuels tatouages nationalistes… terribles instants où tout peut basculer. J’en suis encore bouleversé.

Elle nous raconte les chemins de l’exil, les bombardements des premiers jours de la guerre, la file d’attente interminable pour passer la frontière ukraino-polonaise, la vie en Pologne dans des gymnases transformés en dortoirs géants (la Pologne accueille sur son sol près de 3.5 millions de réfugiés ukrainiens.), puis enfin le départ vers la France, vers cet inconnu sans attache particulière pour elle. Derrière le ton calme, on sent l’émotion intense.

Olena spécialiste de marketing digital à Lviv dans l’Ouest de l’Ukraine

Lviv, la grande ville de l’Ouest de l’Ukraine

Olena nous parle aussi de sa vie avant le drame, à Lviv la grande ville de l’Ouest de l’Ukraine (700.000 habitants). Elle menait une carrière classique de cadre dans une entreprise. Elle y travaillait dans le marketing digital et ventes pour un promoteur. Je lui demande de m’en dire plus. Alors elle m’explique avec enthousiasme comment elle accompagnait les commerciaux avec des scripts pour mieux convaincre les futurs acquéreurs. Son métier fait bien sûr écho avec ma propre expérience professionnelle.

Le contact en anglais est facile, le français commence à venir avec les joies et les peines de notre langue (un mur, une mûre, un murmure…, je n’y avais jamais pensé). Je ressens une nouvelle fois cette proximité culturelle européenne qui nous unit, cet effet « Erasmus » immortalisé par Klapisch dans l’auberge espagnole.  Les champs de ruines de Mariupol ou Lyssytchansk me hantent, le retour du tragique de l’histoire.

 

Olena in Paris, roman photo sur Instagram

Elle visite Paris comme soulagée de retrouver une vie citadine après ces mois d’exil passés à la campagne. Olena est une jeune femme de son temps alors comme Emily (dans la série caricaturale de Netflix sur la capitale) « Olena in Paris » met en scène son séjour sur Instagram. Elle y poste photos et vidéos de nos visites qu’elle cadre et retouche avec talent à destination de ses 2000 followers. Je n’avais jamais pris conscience à ce point que les instagrameurs vivent désormais leur vie comme un gigantesque roman photos.

Olena s’émerveille devant les façades haussmanniennes. Avec la même fougue que les runneuses, elle enchaîne avec acharnement visites de musées et d’églises de Saint Sulpice au Musée d’Orsay en passant par la place des Vosges. Le compteur de pas de son Iphone s’emballe et elle rentre souvent fourbue le soir.

Olena profite des splendeurs de la Capitale. Elle nous confie avoir passé plusieurs heures assises dans le jardin des Tuileries à s’imprégner de l’odeur des bosquets de lavande, festival des 5 sens. Mais que se passe-t-il alors vraiment dans sa tête : apaisement ou déchirement? Comment être touriste à Paris quand son pays est en flamme? Que lui inspire le contraste entre notre paisible vie parisienne et la tragédie de sa patrie? Par pudeur, elle ne nous parlera pas de tout cela.

De toute façon, après ces quelques jours de parenthèses, le quotidien reprendra le dessus, avec la nécessité de trouver du travail, un logement… Alors moi aussi avec elle, je savoure l’instant présent.

Mais une petite musique trotte dans ma tête. Nous avons oublié de chérir la paix comme la démocratie. Et je ne peux m’empêcher de penser que notre civilisation hypertrophiée du loisir passe à côté de l’essentiel. Serions-nous devenus « esclave du divertissement »?

 

 

 

 

Commentaires (3)
Ajouter un commentaire
  • Cyril

    Merci pour cet article … j’ai vécu en 2012 en Ukraine , j’ai été heureux de visiter Kiev et le reste du pays. J’ai rencontré des gens qui sont restés des amis. Maydan, déjà ….
    Bonne chance à Olena, nulle crainte que bien entourée , elle trouvera sa voie ici aussi

    • Ban500

      Merci Cyril pour ton témoignage. Je ne connais pas l’Ukraine, je suppose que les événements actuels sont encore plus déchirants quand on y a vécu.