Because I am happy

L’émission c’est arrivé demain présentée par David Abiker sur Europe 1 est mon petit moment de bonheur du dimanche matin. Ça tombe bien, dimanche dernier, il recevait Mo Gawdat égyptien ex-numéro 2 de Google X devenu le nouveau prophète mondial du bonheur en initiant le projet « 1 billion happy » dont l’objectif est tout simplement de rendre heureux 1 milliard d’être humains avec une formule du bonheur mathématique. Vouloir le bonheur de l’Humanité, voilà une belle utopie… mais qui a conduit dans le passé aux pires cauchemars. J’abordais donc le sujet avec un mélange de bienveillance et méfiance. Tout est passionnant dans ce projet : son ambition, ses moyens, sa philosophie, son idéologie sous-jacente.

Mo Gawdat est un prophète des temps modernes. Être prophète c’est d’abord un look, une présence, un charisme. Mo Gawdat est grand, élancé, crâne rasé et bouc avec de petites lunettes rondes. Il y a chez lui un mélange entre Gandhi et Yannick Noah. Il parle un anglais parfait avec un délicieux accent moyen-oriental sur un ton calme et apaisant. Indiscutablement il se dégage un énergie sympathique chez cet homme. Nous ne sommes pas dans la catégorie prédicateur excité mais plutôt dans le registre du Sage calme et inspirant.

1 BILLION HAPPY : A L’ORIGINE LA TRAGÉDIE FAMILIALE DE MO GAWDAT

Être prophète, c’est ensuite raconter une histoire. Les Américains sont les maîtres du story-telling. Mo Gawdat raconte donc inlassablement son histoire avec brio et talent. Elle est très émouvante et pourrait se résumer ainsi. Il a mené pendant de nombreuses années la vie effrénée d’un entrepreneur à succès. Il est devenu riche, très riche mais pas heureux. Ça rappelle le génial « blues du businessman » de Michel Berger « j’suis pas heureux mais j’en ai l’air, au fond je n’ai qu’un seul regret, j’fais pas ce que j’aurais voulu faire ». Ensuite il est rentré chez Google et a commencé à devenir plus heureux. Puis il a connu une terrible tragédie la perte de son fils suite à une opération chirurgicale ratée. Son fils sur son lit de mort lui a demandé de travailler à être plus heureux et l’a envoyé en mission. Pour son fils, il lance son projet « 1 billion happy » et quitte aujourd’hui Google. Son témoignage m’a profondément ému.

« La vie m’a enlevé un être cher, je l’ai accepté, puis je me suis engagé pour faire en sorte que chaque jour soit meilleur que le précédent. Mon cerveau me dit « j’aurais dû le conduire dans un autre hôpital », c’est vrai, mais puis-je revenir en arrière, puis-je changer cela ? Non, alors pourquoi le cerveau me dit-il cela ? J’ai donc demandé à mon cerveau de me donner une pensée positive. L’idée est alors venue de montrer au monde l’être exceptionnel qu’était Ali, partager son modèle de bonheur, et faire en sorte de rendre les gens heureux pour que le monde soit un plus bel endroit que le jour où Ali l’a laissé. Nous avons commencé avec dix millions de personnes et nous avons pour objectif de rendre un milliard de personnes heureuses. Cela ne ramènera jamais Ali, mais les rendre heureux est mieux que de passer le reste de ma vie à pleurer. Quelle remarquable leçon de vie!!!! Mo Gawdat fait donc partie comme Saint Paul ou Charles de Foucauld des prophètes repentis marqués par la vie. Ils sont généralement redoutablement efficaces.

L’ÉQUATION DU BONHEUR DE MO GAWDAT

Venons en maintenant à la parole du prophète. Il fait le constat que malgré les progrès technologiques extraordinaires l’homme occidental n’est pas plus heureux que ses parents et grands parents et pire encore qu’un pauvre paysan du tiers-monde. Nous aurions donc raté quelque chose de fondamental. Il y a donc chez Mo Gawdat une critique radicale de la société de consommation et de son corollaire le désir permanent du toujours plus. On retrouve là des éléments de la contre-culture californienne. Il est également à noter qu’il s’agit d’une sagesse non religieuse dans laquelle le bonheur ne passe pas par la transcendance divine.

Mo Gawdat a le sens de la formule, en l’occurrence mathématique. Le cœur de sa pensée, il l’a synthétisée dans son équation du bonheur :

La formule est concise et percutante. Je vous laisse la méditer. Je ne vous infligerai donc pas des pages d’exégèse sur cette équation. On peut juste dire qu’elle s’inscrit dans un courant de sagesse matérialiste assez classique qui va de la sagesse épicurienne recommandant de se limiter aux seuls désirs naturels et nécessaires en passant par Voltaire « il faut cultiver votre jardin ». Cette formule me semble plutôt de bon sens même si elle porte en elle le risque de conservatismes sociaux sur le registre « sois heureux dans ta caste, ne cherche pas à trop en sortir, tu cours au malheur. »

Ce qui est plus intéressant, c’est sa formulation sous forme d’équation. Elle traduit l’obsession de notre époque de tout modéliser. On n’avait encore jamais eu l’idée de sauver l’humanité avec un algorithme. La déclinaison du projet fonctionne d’ailleurs ainsi. Mo Gawdat invite chacun de ses nouveaux disciples à transmettre cette formule du bonheur à deux nouvelles personnes qui à leur tour la transmettront à deux autres personnes suivant un classique schéma pyramidal. Il affirme avec sérénité et sans prétention, ni orgueil qu’il touchera 1 milliard de personnes. On pourrait le croire mégalomane. Je suis sûr qu’il y arrivera. La transformation effective des cœurs sera elle plus difficile.

RENDRE HAPPY LES MACHINES

Et puis chez les prophètes, il y a toujours une partie un peu délirante. Mo Gawdat vient de chez Google, c’est un homme des GAFA. Il lui fallait donc relier son projet à l’ambition transhumaniste de l’entreprise américaine. Il explique donc doctement qu’après la singularité de 2029 les machines deviendront plus intelligentes que l’homme, qu’elles sont aujourd’hui en train d’apprendre faisant le parallèle avec l’apprentissage des enfants. Pourquoi rendre l’homme plus heureux ? Tout simplement pour que les intelligences artificielles soient heureuses et n’apprennent pas par mimétisme nos travers. Elles risqueraient sinon de devenir méchantes et sans doute de nous éliminer. Je n’aime pas cette partie du discours qui porte en elle le germe du totalitarisme sur le thème « applique ma méthode pour devenir heureux ou l’Humanité disparaîtra ». Cette facette du projet reste pour le moment en arrière plan. Souhaitons que cela demeure ainsi.

Bon vent au projet « 1 billion happy » et à son charismatique promoteur. J’espère pour lui que ses attentes ne sont pas vraiment d’influer en profondeur sur le bonheur d’1 milliard de personnes. Il risque alors que les événements ne soient pas à la hauteur provoquant son propre malheur si on applique son équation. L’Utopie est belle et si déjà elle apporte du bonheur à quelques uns…

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