La croyance en la décroissance

Samedi, jour de courses. Au détour d’un rayon, je tombe nez-à-nez avec les chocolats de Pâques. Le plus drôle est que, juste à côté, on trouve, en solde, les boîtes non vendues des chocolats de Noël. On a beau le savoir, on reste toujours étonné devant cette capacité de notre société à savoir transformer en action commerciale le moindre événement. En 2017, les dépenses publicitaires ont représenté 559 milliards d’Euros (le PIB de la Suède) ! Tout nous pousserait donc à consommer. Mais ces derniers temps une nouvelle notion apparaît, en rupture avec cette tendance : la décroissance.

Autant le dire tout de suite, la décroissance apparaît souvent comme le projet de quelques idéalistes, descendants directs des hippies en rupture avec notre société, fondée sur la croissance économique. Pour commencer, qu’est-ce que la décroissance ? Car la croissance, nous voyons bien ce que c’est. Elle est associée à des indicateurs chiffrés, le PIB par exemple. Par contre la décroissance, est-ce le fait de faire régresser le PIB ? La décroissance, est-ce retourner vivre dans la grotte, éclairés à la bougie et rêver d’un monde de chasseurs-cueilleurs ?

La définition la plus répandue de la décroissance est une remise en cause de l’idée qu’une augmentation de la richesse conduit à une amélioration du bien-être. Il y a donc bien une idée de freiner, pour des raisons environnementales en premier lieu, mais aussi pour une réduction des inégalités et un changement de rapport au travail. La notion de décroissance recouvre donc une multitude de concepts : du développement de l’agriculture bio au malthusianisme. Alors, entre deux bouchées de lapin de Pâques, plongeons-nous dans ce monde nouveau, où la croissance du PIB ne serait plus une priorité.

LA DÉCROISSANCE OU LES LIMITES DE LA CROISSANCE

Le modèle actuel s’est façonné avec la révolution industrielle : celui d’une économie basée sur la croissance de la production. Reconnaissons, que le modèle a plutôt bien fonctionné. Jusque dans les années 70, la croissance économique se traduisait quasi mécaniquement par une hausse du bien-être. Mais depuis le modèle se dérègle. Dès 1972, le rapport Meadow, commandé par le Club de Rome s’intitulait Les limites de la croissance.

Depuis plusieurs décennies, les fruits de la croissance sont de moins en moins répartis. Aux Etats-Unis, 47% de la richesse nationale va aux 10% les plus riches contre 34% dans les années 80. Par ailleurs, cette recherche de croissance économique n’est pas sans conséquence sur notre environnement. Comme nous l’avions évoqué dans notre article sur le réchauffement climatique, le jour où nous avons épuisé les ressources annuelles de la terre est de plus en plus tôt dans l’année.

DÉCROISSANCE OU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Nichola Georgescu-Roegen, mathématicien américain d’origine roumaine, fut l’un des premiers à souligner qu’un développement infini de l’activité est incompatible avec un monde où, par définition, les ressources naturelles sont limitées. Et la hausse annoncée de la population mondiale (11 milliards d’habitants en 2100) ne va pas arranger la situation, si aucun changement de notre modèle n’intervient. Pire, une partie de la croissance actuelle est tirée par les dépenses nécessaires à régler les problèmes environnementaux que nous créons nous-mêmes.

Mais alors pourquoi parler de décroissance, quand il s’agirait plutôt de développement durable ou de croissance verte ? Les adeptes de la décroissance vous expliqueront qu’il s’agit là de notions purement marketing, destinées justement à tirer la croissance économique ! Car la décroissance, c’est une rupture avec les indicateurs traditionnels de l’économie. Il s’agit d’en finir avec le lien entre développement et pourcentage de croissance. Il s’agit plutôt de parler de degré d’égalité, de santé, de bien-être ou bien d’empreinte carbone. Le mouvement trouve un écho réel chez tous nos cadres en quête de sens dans leur travail quotidien.

DÉCROISSANCE DE MULTIPLES FORMES POSSIBLES

Partager le constat est assez tentant. Même si, pour être honnête, il apparaît très limité dans sa diffusion : des personnes blanches, sur-éduquées en ayant assez de faire des Power Point. Mais concrètement que fait-on ?  Les idées sont multiples et tournent autour de la consommation locale, d’une relocalisation des industries, du développement d’activités plus consommatrices de main d’œuvre, du développement des coopératives, voire de la gratuité. La fiscalité revient assez rapidement également : taxation des ressources naturelles qui permettraient de développer des secteurs plus consommateurs en travail, taxes sur les bénéfices pour redistribuer de la richesse, intégration du coût de la pollution générée en Chine dans le prix des produits consommés en France. Et parmi les plus extrêmes : contrôler les naissances pour limiter la population sur terre.

La décroissance reviendrait donc à se dire que le salut n’est pas dans une accumulation de pièces d’or digne d’Onc Picsou. Le sens serait ailleurs, dans son potager personnel, dans des vacances moins lointaines et surtout pas en avion, dans l’usage d’énergies alternatives, la consommation de produits moins consommateurs d’énergie, dans la réflexion avant d’acheter, dans le refus d’accumuler des tas d’objets inutiles.

UN DIFFICILE PASSAGE DE LA THÉORIE A LA PRATIQUE

Mais le passage à la pratique n’est pas si simple. Car arrêter la croissance ne conduirait-il pas, dans un premier temps avant que ne se développent de nouvelles formes d’activité à une flambée du chômage ? voire à un blocage de la société ? Le mouvement des gilets jaunes n’est-il pas la première manifestation des difficultés de passer à une consommation moins énergivore, d’avantage axée sur les énergies durables que traduisait la hausse des taxes sur les carburants? Par ailleurs, les actions proposées n’auraient des résultats visibles que dans plusieurs dizaines d’années. Il faudrait que notre génération accepte de sacrifier son mode de vie actuel pour préparer le futur de ses enfants ! Ambitieux mais certainement peu réaliste programme.

Et comment imaginer que la décroissance puisse séduire des pays ou des continents dont le seul but est de se développer économiquement. Parmi les propositions de Jair Bolsonaro, les autorisations de déforestation de l’Amazonie pour développer la culture du soja, en sont une excellente illustration. Les pays du Sud rêvent en effet de se développer selon l’exemple des pays du Nord. Et ce n’est certainement pas aux pays du Nord d’aller expliquer aux pays du Sud quel mode de croissance ils doivent adopter sur le mode du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».

LA DÉCROISSANCE NE SERAIT-ELLE PAS LE PROGRÈS ?

Enfin, admettons que d’un point de vue marketing, le terme de décroissance n’est pas vendeur. Dans notre inconscient collectif, nous cherchons la croissance. C’est la croissance qui est synonyme de bien-être. Alors, aller parler de décroissance est délicat. Du coup, certains préfèrent les termes d’acroissance ou bien encore de post-croissance.

Vouée à l’échec la décroissance ? L’émergence de l’intelligence artificielle et ses conséquences sur l’emploi, pousse à appréhender le concept sous un autre jour. Dans une société où la place de l’emploi risque d’être plus faible, les bases de la décroissance peuvent trouver un écho crédible. Elle peut même assurer une transition vers un référentiel complètement différent. Et si la décroissance devenait le progrès ? Réponse dans trente ans… En attendant on a la part de marché et les volumes du mois à faire !!

Commentaires (1)
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  • Jean-Loup Salètes

    Une problématique très claire e comme toujours des éléments d’information précis ; l’auteur ne tranche pas tout en posant de bonnes questions. Le terme de développement durable me parait bien adapté au changement de cap nécessaire et urgent et la notion de progrès humain dont les critères et le chiffrage sont à établir doit remplacer la notion de croissance si profondément ancrée dans les esprits : elle génère des écarts grandissants, des précarités, des désastres écologiques et des conflits profitables aux marchands d’armes. Une question essentielle pour diriger l’enquête sur Mme croissance : à qui profitent les crimes ?
    Bravo à l’auteur pour son art de la bonne vulgarisation