Les runners : la tribu des technophiles

Run Forrest run… Et oui je cours. Pourtant je n’aime pas ça. Mais je cours quand même. Je vous assure, je n’aime vraiment pas ça. Mais je cours quand même. A chaque foulée, mon corps dit stop. Dans notre société qui adule le plaisir, le confort, ils courent quand même. Ils souffrent, ils sont rouges mais ils courent quand même. Ils enchaînent tous dans le même sens autour du Parc Monceau. Inutile de songer à la révolte en tournant dans l’autre sens, le courant est trop fort. Pour augmenter leurs performances de running et limiter leurs efforts , ils utilisent un équipement toujours plus sophistiqué : baskets dernier cri, objets connectés, T-shirts respirants et boissons énergisantes. Quel régal pour les équipes marketing de Nike, Adidas, Asics ou Isostar. Je les trouve intrigant ces runners technophiles. Je vous propose donc une course quasi- ethnologique dans cette curieuse tribu.

La panoplie des runners ou la réhabilitation de la couleur fluo

En courant, je les observe. Le runner est bariolé. Habillé en noir ou en gris quand il est en civil, le runner se transforme tel Ironman en créature fluorescente dès qu’il chausse ses baskets pour aller faire son jogging. A ce propos, je vous invite à redécouvrir le sketch des Inconnus qui préfigurait du look de notre runner. Différence majeure, la runneuse est souvent bourgeoise ou bo-bo. Le fluo a donc réalisé une ascension sociale fulgurante. Les runners se répartissent en plusieurs tribus. La première ce sont les runners technophiles.

Un équipement complet pour le runner : des vêtements aux objets connectés

On reconnaît la tribu des runners technophiles à leur matériel dernier cri.  A commencer par le textile pour « courir confortablement », alors que courir confortablement c’est en fait arrêter de courir. Banni le T-shirt en coton dont la matière absorbe l’humidité du corps et refroidit la peau très rapidement, bonjour le T-shirt respirant fluo bien entendu. J’ai essayé le T-shirt respirant. Il ne m’a pas empêché d’être essoufflé. Il existe également des sous-vêtements « spécial running », mais j’en reparlerai dans la section consacrée à la plus terrible des tribus, celle des runneuses.

Les runners technophiles sont bien sûr connectés. Ils mesurent en temps réel leur fréquence cardiaque, leur vitesse, la distance parcourue. Cette semaine, j’ai fait 2432 foulées de 72.4cm et je suis monté en pulse à 163. Et alors ? Alors par rapport à la semaine dernière, je m’améliore sur la longueur de la foulée de 3mm et de 3 pulse….

Du jogging au running, la course à pied source inspire le marketing des marques de sport

L’imagination des marchands est sans limite. Voici donc un inventaire en partant de bas en haut : les inévitables chaussures de running comme par exemple les Adidas Raven à 149.95€, les chaussettes Kalenji Kiprun à 9.99€, le manchon de compression Booster Elite pour prendre soin des mollets à 24.90€, un collant Nike Power Speed à 87.49€ « imprimé aux endroits stratégiques pour le maintien des muscles clés » (je jure que je n’ai pas inventé cette phrase). S’il est bobo, il pourra même acheter des baskets écolos de la marque Veja.

Pour les sous-vêtements on vous conseillera l’Ice Breaker Boxer Anatomica à 40€, mais les débats font rage, notamment chez les runneuses. Passons maintenant au T-shirt : l’Under Armour Heat Gear à 27€, et comme l’automne approche parez-vous de la veste Asics Lite Show à 70€ qui offre une résistance maximale face aux vents. Terminons pour l’hiver avec le Craft light thermal bonnet à 16.95€. 450€ plus tard, le runner technophile est paré pour commencer à courir. Ah non, j’oubliais la quincaillerie électronique comme le dernier bracelet connecté de chez Garmin à 350€ pour mesurer en permanence vitesse et fréquence cardiaque. Il sera vraisemblablement fan de la marque de bracelet et montre connectés de Fitbit que vient d’ailleurs de racheter Google.

Coureurs sérieux ou runners frimeurs : l’habit ne fait pas la performance

Le runner technophile se subdivise lui-même en deux catégories : le technophile branleur et le technophile sérieux. J’ai une certaine tendresse pour la première catégorie. Il rentre de vacances plein de bonnes résolutions. Frimeur et flambeur, il est passé chez Décathlon et il a acheté tout le matériel. Il s’est fait plaisir en achetant le dernier bracelet connecté pour pouvoir contempler ses performances.

Il en a parlé toute la semaine à la machine à café et le voilà à mes côtés au Parc Monceau. Auréolé de son équipement flambant neuf, il est parti comme une fusée. Mais la pesanteur s’est vite rappelée à lui. Confiant, il a commencé à boire de l’Isostar dans son Asics Running Waistpack. Il est reparti fringant sur quelques mètres. Mais rien n’y a fait, le point de côté a commencé à monter et je l’ai irrémédiablement rattrapé. Il s’est alors brièvement rappelé une image de son enfance : la coureuse Sud Africaine Zoa Budd battant le record du monde du 5000m pieds nus….

Le technophile sérieux est beaucoup plus dangereux. Il vous dépasse dans la ligne droite avec une déconcertante facilité arborant fièrement son T-shirt Marathon Finisher gagné à force de sueur lors d’une de ces grandes kermesses événementielles. Il faut dire qu’il est carrément baraqué, ses pectoraux entretenus par une à deux séances par semaine de fitness. Je l’ai rencontré la première fois dans les années 90 à New York. A Paris, j’avais le gabarit du français étudiant, certes un peu gringalet, mais « normal ». A New York, la norme avait évolué sous la pression du culte de la performance appliqué au corps.

Attention au coureur à l’ancienne avec son vieux short

L’homme était devenu « plus vite, plus haut, plus fort ». 30 ans plus tard, l’Homo Central Parcus a traversé l’Atlantique et s’est incarné dans les runners technophiles du Parc Monceau. Attention le runner technophile est prosélyte. Il essaiera de vous convertir à la course. Il vous parlera de son bien être, de son éclatante santé, n’hésitera pas à essayer de vous culpabiliser sur vos quelques bourrelets. Son objectif ultime : faire l’ultra-trail du Mont-Blanc .

Ce n’est pas un hasard s’il allie technologie et santé. Notre technophile recherche la performance à tout prix : aujourd’hui avec son équipement, demain avec des médicaments, après-demain en devenant un homme machine. Nous sommes là dans la préfiguration de l’homme augmenté au coeur de l’idéologie transhumaniste. Le technophile en sera le premier adepte.

Heureusement il reste concurrencé par une troisième tribu : le coureur à l’ancienne. Vous le reconnaîtrez à son short en nylon à l’ancienne enveloppant ses cuisses musclées, combiné à un vieux t-shirt ou débardeur et à ses cheveux coupés courts. Il a juste une paire de chaussures neuves. Il courait déjà il y a 10 ans avant que le running ne devienne à la mode. C’est un adepte de l’effort dur mais sain. Il ne recherche pas la performance mais il est performant. Il a une connaissance intime de son corps forgée dans la durée. Chaque année, il regarde les championnats d’athlétisme se passionnant pour les duels Kipchoge – Bekele. Il a vibré lors de la victoire de Pierre-Ambroise Bosse sur 800 mètres en 2017. Au final, il ne battra pas nécessairement le technophile dans le sprint d’arrivée, mais au moins, lui aura-t-il donné du fil à retordre.

Commentaires (1)
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  • Fabienne

    Je suis impressionnée; continue comme ca !