Désert numérique : retour vers le passé dans les Pouilles

Le Gargano : une faille dans l’espace-temps

Italie Pouilles Gargano. Nous avions quitté depuis 2 jours la cité médiévale de Monte Sant’Angelo et ses pèlerins. Nous le sentions bien, le temps ici pouvait nous jouer des tours se dissolvant dans les vieilles pierres, comme dans une sorte de faille de l’espace-temps. J’en veux pour preuve cette ballade de fin de journée vers une abbaye abandonnée dans la montagne. Personne n’avait bronché quand notre guide possédé par les lieux nous avait annoncé avec aplomb une marche de 2 fois 45 minutes soit … 1 heure 15. Pourtant, cette rude grimpette à la fin d’une journée de randonnée dura au final près de 2 heures entraînant nos protestations. Je vous l’ai dit, dans le Gargano le temps est malicieux. Il y rend les connexions numériques capricieuses dans ce que l’on appelle désormais un désert numérique.

Après une journée de marche, nous arrivons donc à notre lieu de villégiature pour la nuit, la ferme agriturismo de Sgarrazza, vieille bâtisse au milieu d’une nature vierge d’habitations avec une vue plongeante sur l’azur de l’océan. Une précision d’importance : pour y accéder nous avions fait la longue traversée de la Foresta Umbra une forêt de chênes centenaires. La confusion temporelle s’y était singulièrement accentuée au fur et à mesure de notre lente déambulation au milieu de ces géants verts. Nous nous endormîmes tous au pied de l’un d’eux. Une minute, une heure, un siècle, nul ne saurait dire combien dura cette mémorable sieste.  

La Foresta Umbra et ses chênes centenaires

Sgarrazza magnifique désert numérique

Sgarrazza, ici pas le moindre réseau, au revoir E-mails, Google et Facebook : nature florissante mais désert numérique. Pour nous comme pour les enfants, ça sera soirée « détox digitale ». Les montres continuent certes à fonctionner. Mais dans ce lieu hors du temps, loin des réseaux, au milieu des vaches, des poules et des cochons, impossible d’affirmer avec certitude en quelle année nous nous trouvons, en tout cas probablement pas en 2019.

Nous prenons possession de nos chambres. Elles se composent de deux pièces en enfilade. Les lits sont situés dans la pièce du fond derrière d’épais murs et sans aucune fenêtre. Dans les Pouilles l’été, il fait chaud, très chaud. Il fallait donc pour les bâtisseurs à tout prix se protéger de cette lumière brûlante. On parlerait aujourd’hui de conception bioclimatique. Les vitrages haute performance permettant aux architectes du monde moderne de construire des maisons aux grandes baies vitrées avec vue sur la mer ne sont pas arrivés jusqu’à Sgarrazza. Sans doute n’ont-ils pas réussi à franchir la forêt de chênes : voyager dans l’espace-temps n’est pas chose aisée!!! Ici, désert numérique et double vitrage ne font pas bon ménage.

Une soirée sans réseau 

Mais en cette soirée du mois de mai de l’an de grâce ??19, la température est plutôt frisquette. Nous retrouvons instantanément les réflexes d’antan et nous voilà tous parents comme enfants affairés à préparer la flambée qui nous permettra de passer une nuit douillette. Les enfants exultent ravis de cette plongée dans le passé loin de Fortnite. Les grands-pères ne peuvent s’empêcher de donner des conseils techniques sur la bonne manière de démarrer et d’entretenir un feu. Dans ce désert numérique, ils ne seront pas ce soir concurrencés par des tutos trouvés sur YouTube. 

Nous prenons ensuite notre repas dans une belle salle voûtée aux vieilles pierres. Après les délicieux antipasti, notre hôte nous a cuisiné des pasta qui réalisent la synthèse entre soupe et plats de pâtes : un bon concentré de sucres lents. Comme tous les soirs, nous sommes rassasiés quand arrive la viande. Pour terminer, les vapeurs de grapa accentuent encore la confusion temporelle.

Quand t’es dans le désert numérique depuis trop longtemps…

Pourtant un détail incongru attire mon regard. Sur la porte de la salle voûtée, notre hôte a accroché à un clou un objet étrange venu du futur : un smartphone. Il y retourne nerveusement toutes les dix minutes. Nous l’interpellons et il finit par nous révéler son secret. Cet endroit précis est le seul d’où il arrive à capter par intermittence la 4G. Fort de cette découverte, nous nous précipitons avec les enfants vers cette source quasi-magique des ondes de 2019. Drogués du numérique, Il nous faudra ce soir nous contenter d’une dose légère, 2 barres de réseau grand maximum.

Quand t’es dans le désert depuis trop longtemps… chantait Capdevielle. Être coupé du monde nous amuse brièvement mais ne semble guère réjouir notre hôte. Cette histoire m’a donné l’occasion de trouver quelques chiffres sur fracture et désert numérique. « L’accès à Internet et à la téléphonie mobile, ce n’est pas un luxe mais un droit » déclarait en juillet 2018 le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la cohésion des territoires, Julien Denormandie. Pourtant 5% de la population française est condamnée à l’exclusion numérique et 10% à la semi-exclusion, car privée d’une connexion de qualité.

La réduction de la fracture numérique 

Les gouvernements successifs se sont engagés à réduire cette fracture numérique. L’objectif est de rendre disponible le très haut débit partout en France d’ici 2022. Mais les investissements sont lourds : près de 20 milliards d’€ sur 10 ans, les montages financiers avec les opérateurs privés complexes, sans compter l’installation physique d’antennes et pylônes dans les hameaux escarpés d’Ardèche, d’Aveyron ou de Corrèze. Au final, le désert numérique recule lentement mais sûrement mais tout de même lentement.

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