Impatience et brièveté de temps

En ce début d’été caniculaire, nombreux sont les médias à nous parler de détox numérique, de vacances sans nos smartphone et tablettes. Même le rédacteur en chef d’Étonnante Époque s’y était adonné lors de son périple dans les Pouilles. Un peu contre son gré il est vrai. Et ne comptez pas sur nous pour vous conseiller de ne pas venir consulter notre chronique hebdomadaire pendant l’été ! Pourquoi devrions-nous débrancher ? La connectivité permanente aurait-elle des impacts sur notre vie ? sur notre santé ? Vous imaginez bien que la réponse n’est pas manichéenne. Une chose est certaine : les nouvelles technologies ont un impact sur notre rapport au temps. Elles seraient facteur d’impatience.

La course à la vitesse des sites internet

Beaucoup de statistiques le prouvent, nous sommes de moins en moins patients. Il est vrai que nos ordinateurs ne cessent d’être plus performants, d’ouvrir les programmes plus vite ou de nous proposer du contenu de plus en plus rapidement. Conséquence : gare au site qui ne vous délivre pas du contenu assez vite. Lemonde.fr a diligenté une enquête sur le sujet l’année dernière : résultat trois lecteurs potentiels sur dix partaient si la page ne s’affichait pas dans les cinq secondes. Quand on se souvient du temps qu’il fallait à nos PC pour s’ouvrir il y a encore cinq ans, ce genre de statistiques en dit long sur notre impatience sans cesse augmentée.

La vitesse serait le secret du bon business d’après Google. Le géant américain propose même une application pour tester la vitesse de votre site. Vous imaginez bien que je m’y suis précipité pour voir si Étonnante Époque rentrait dans les canons de l’époque. Le verdict est sans appel : SLOW… Car les pages se chargent en plus de 2.5 secondes. Vous imaginez le nombre de lecteurs que nous perdons du fait de cette lenteur.  Un bon site doit viser une ouverture de page en 0.1 seconde, soit le temps d’un battement de cil.

L’accélération au coeur de notre société

Aller toujours plus vite n’est pas chose nouvelle me direz-vous. Cela fait longtemps que nous lions vitesse et performance. Nous ne cessons d’accélérer. Quelques exemples chiffrés pour preuve : au cinéma la durée moyenne d’un plan est passée de 12 secondes en 1930 à 2.5 secondes en 2010. En général mettre nos enfants devant un film des années 60 est assez décoiffant. L’impatience les gagne assez rapidement, le film ne correspondant pas aux standards du moment. Ceux qui ont vu Bohemian Rapsody se souviennent du débat sur la durée de la chanson éponyme alors que les standards de la radio étaient de 3 minutes 30. Désormais on vise des morceaux de 2 minutes 30. Avec un rythme toujours plus rapide : entre 1986 et 2015, nous sommes passés de 94 à 101 battements par minute. Pour convaincre dans les entreprises on vous demande votre elevator pitch en 30 secondes.

Le commerce n’échappe pas à la règle. Alors qu’on estimait dans les années 80 qu’il fallait entre 5 et 10 minutes à un client pour se décider dans une boutique, Amazon a développé l’achat en un clic. Afin d’éviter que votre client puisse hésiter, car on estime que 60% des clients qui mettent un article dans leur panier virtuel ne vont pas au bout de leur démarche d’achat.

Bref tout va plus vite. Les livres restent de moins en moins longtemps en librairie, les producteurs de musique se battent pour rester dans les premières places des plates-formes de musique en ligne. Sur les réseaux un sujet reste dans les cinquante premières places des mots clés du moment 12 heures contre 17,5 heures en 2013.

L’impatience : est-ce grave docteur ?

Car finalement la vitesse semble indissociable du progrès et d’une amélioration de notre condition.

Ce qui semble inquiétant c’est que le numérique change notre rapport au temps. L’individu veut désormais tout et tout de suite. L’impatience ne cesse de croître. Les partisans du « C’était mieux avant » vous diront que c’était quand même bien mieux quand tout le monde attendait le film du dimanche soir et que tout le monde le voyait au même moment. Plutôt que chacun regardant sa série dans son coin. Statistiquement les enfants dorment de moins en moins dans les pays occidentaux. La notion de précocité de son enfant devient prépondérante. Rappelez-vous ce sketch de Florent Foresti où deux mères font de la surenchère visant à prouver que leur enfant est extrêmement précoce.

Au-delà de cette croissance de l’impatience, facteur d’énervement, toutes ces stimulations nuisent à notre concentration. Nous passons de moins en moins de temps sur chaque chose et nous avons une petite tendance à passer très rapidement d’un sujet à l’autre. Les spécialistes des réseaux sociaux nous aidant bien, en nous envoyant moultes notifications, en jouant sur notre recherche de gratification. C’est pour cela que nous ne pouvons résister quand vibre notre téléphone (en moyenne chaque être humain consulte 52 fois par jour son smartphone). On ne sait jamais cela pourrait être un nouvel ami, un like sur une de nos publications. Je dois avouer que le jeudi je guette les like de nos post Étonnante Époque sur Linkedin.

Impatience et réflexion sont-ils conciliables ?

Alors à long terme cette situation est-elle mauvaise pour l’être humain ? Ne plus prendre le temps peut-il nous nuire, limiter notre créativité, notre vie sociale ou bien même notre bonheur ? Nous manquons encore de recul sur la situation. Ce qui est sûr c’est que nous demandons toujours plus de vitesse, que nous absorbons toujours plus de contenu et que nous aimons de mois en moins attendre.

Le plus gros risque de tout cela serait de ne plus avoir de temps pour soi. D’être toujours dans la stimulation, que notre esprit n’ait plus de temps de repos. Que nous guette une forme d’épuisement. Et qu’à terme cela nuise à nos capacités de création, de réflexion.

La tentation d’une île

Shot at Sommaroy outside Tromso, Norway.

A ce titre l’aspiration des habitants de l’île norvégienne de Sommaroy est intéressante. Cette île située sur le cercle polaire a la caractéristique de ne pas voir le soleil se coucher entre le 19 mai et le 26 juillet. Durant cette période les habitants ne suivent plus aucun rythme, jouant au football à minuit ou faisant du bateau à deux heures du matin. Du coup ces derniers demandent que leur île soit considérée comme hors du temps, qu’elle ne soit plus soumise à aucun horaire pendant cette période estivale dans un premier temps. Enfin des humains qui se rebellent contre ce temps qui s’accélère, qui veulent prendre le temps, avoir du temps pour eux ! les plus cyniques vous diront qu’il s’agit plus certainement d’une opération publicitaire pour attirer des touristes !

Si vous êtes en train de lire ces mots, c’est que nous avons réussi à capter votre attention jusqu’au bout. Et ça, ça prouve que vous êtes des lecteurs extraordinaires, que l’impatience ne vous a pas gagné et que vous avez su résister à toutes les tentations auxquelles vous avez été soumis entre temps ! Nous ne saurions que vous en féliciter !

Commentaires (2)
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  • Bonnard

    Bonjour,,
    J’ai beaucoup ce « temps pour moi ».
    Merci de cette pause bénéfique et nécessaire pour s’oxygéner.
    Une belle planche.

    • Ban500

      Merci