Reconstruction de Notre Dame : une aventure de notre Étonnante Époque

Lundi 16 avril 19h50 aéroport de Dubaï : de retour de Katmandou, je découvre effaré sur les télévisions les terribles images de l’incendie de Notre Dame. L’émotion est considérable et mondiale. Au petit matin, la cathédrale est sauvée et commencent alors les échanges sur la reconstruction de Notre Dame.
« Nous vivons une étonnante époque où le mélange entre mondialisation, capitalisme et technologie est souvent étonnant voire détonant » : tel est le pitch de notre site. Dans cette histoire de Notre Dame, tous les ingrédients sont réunis. Nous ne pouvions donc résister avec mon comparse Jules Gaîté à la tentation une semaine après les faits d’y consacrer un article.

 

L’incendie de Notre Dame : une compassion universelle

L’incendie de Notre Dame c’est en premier lieu un moment où le temps est suspendu. Toutes les chaînes d’info de France et du monde entier ne cessent de zoomer sur les flammes qui dévorent la charpente de la cathédrale, sur la flèche qui plie et s’abat dans le brasier. Des milliers de badauds se massent sur les quais de Seine. Beaucoup filment avec leur smartphone, d’autres s’agenouillent pour prier. Dans tous les cas, nombreux sont ceux qui se déclarent tristes ou bien encore sous le choc.

Il est vrai que le monument est mondialement connu, constituant le bâtiment historique le plus visité d’Europe (13 millions de personnes par an). Ce qui frappe, c’est que la tristesse semble sans frontière. Des japonais, des américains, des brésiliens mais aussi bien sûr des français pleurent l’édifice mutilé.

Comment expliquer ce deuil universel ? Sans doute le poids de l’histoire. Si du haut des pyramides, quarante siècles contemplaient les grognards napoléoniens, la cathédrale affiche 856 printemps. Sans doute ce lien vers le Moyen-Âge nous fascine et donne tant de valeur à l’église. Il est vrai que Notre Dame est aussi intimement liée à l’histoire de France. Entre le mariage de Louis XIV, le sacre de Napoléon, la messe de la Libération, les obsèques de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand ou bien encore la cérémonie après les attentats du 13 novembre 2015, elle est le lieu des moments forts de la Nation.

Notre Dame symbole mondial

Enfin dans le monde, elle est associée à Paris, cette ville qui fascine tant. Après sa glorification par Victor Hugo, elle est devenue une star hollywoodienne, héroïne de Disney, de comédie musicale ou plus récemment du jeu vidéo Assassin’s Creed Unity. Ces différentes adaptations ont clairement contribué à cette place unique dans l’imaginaire collectif. Pour beaucoup, Notre Dame c’est Paris. Notre Dame qui brûle, c’est Paris martyrisé. C’est la représentation d’une France musée qui part en fumée.

Il était donc impensable de ne pas lancer immédiatement le projet de reconstruction de Notre Dame. Encore fallait-il le financer? Il avait été très laborieux de réunir les fonds pour la restauration en cours.

La reconstruction de Notre Dame ou la brutale irruption dans l’Hexagone de la philanthropie à l’américaine

 

Source gouvernement français

Famille Bettencourt 100 millions, famille Pinault 100 millions, famille Arnault 200 millions, tels les rois mages, les milliardaires français sont immédiatement accourus au chevet de Notre Dame les bras remplis de précieuses oboles.

Je m’en suis bien sûr réjoui pour le financement de la reconstruction de Notre Dame. Pourtant ces dons ont immédiatement donné lieu à une forte polémique. Nos milliardaires en ont semblé à la fois surpris et meurtri. Bernard Arnault a jugé « consternant » de se faire critiquer : « c’est une fausse polémique, c’est assez consternant de voir qu’en France on se fait critiquer même quand on fait quelque chose qui est une preuve d’intérêt général ».

Au premier abord, j’ai trouvé cette polémique détestable relevant du réflexe anti-riche primaire, ridicule, mesquin!!! Elle a d’ailleurs largement été relayée par l’extrême-gauche. Mais quelque chose me dérangeait dans ces dons ostentatoires. Cette philanthropie des milliardaires ne fait pas partie de notre culture française. Elle nous vient directement des États Unis où elle a été inventée par la famille Rockefeller, (cf. l’article consacré l’été dernier à la vente aux enchères de la collection Rockefeller).

Nous sommes en France instinctivement méfiants vis-à-vis de cette philanthropie. Ces milliardaires à l’instar des GAFA pratiquent tous l’optimisation fiscale. D’un côté, la famille Pinault à travers le Groupe Kering risque un redressement de 1.4 milliard d’€ des autorités fiscales italiennes, de l’autre elle fait un don de 100 millions d’€ pour Notre Dame.

Alors la polémique enfle 

Ces milliardaires ne devraient-ils pas commencer par payer plus d’impôts? À l’heure des gilets jaunes, pourquoi sont-ils plus généreux pour des vieilles pierres que pour les pauvres? Quand on fait un don, a-t’on vraiment besoin d’en faire une telle publicité? Ne font-ils pas ces dons pour encore augmenter leur influence? Toutes ces questions sembleraient complètement incongrues aux États Unis où les Bill Gates, Marc Zuckerberg ou encore Jeff Bezos font œuvre de philanthropie à coups de milliards de dollars chaque année dans l’enthousiasme général.

Mais la France n’est pas l’Amérique. Nos milliardaires sont tellement mondialisés qu’ils n’ont pas senti que la polémique était inévitable au pays de l’égalité. Leur communication a été maladroite. D’un autre côté, nous autres « Gaulois réfractaires au changement » ferions bien de nous inspirer des authentiques bénéfices de la charité privée. Ces dons sont les bienvenus pour financer la coûteuse reconstruction de Notre Dame quand les caisses de l’état sont vides.

Le financement étant assuré, le projet de reconstruction de Notre Dame peut désormais commencer. Il soulève des questions passionnantes.

 

La reconstruction de Notre Dame : une prouesse technologique en perspective

Extrait de Astérix & Cléopâtre

Cléopâtre: Et je peux te prouver n’importe quand, ô César, que mon peuple Egyptien a gardé tout son génie […..] en te faisant construire un palais par exemple.
César : Franchement c’est bon un palais j’ai tout ce qu’il faut à Rome.
Cléopâtre : Eh bien tu en auras un ici, à Alexandrie, comme ça quand tu viendras en province, tu sauras où dormir… A la différence qu’il sera bien plus vaste et plus somptueux que tous les palais que tu as jamais eu.
César : Rome s’est pas construite en un jour ! J’la verrai quand cette merveille ? Dans trois siècles ?
Cléopâtre : Dans trois mois.
César [qui sur le coup gobe direct son grain de raisin] : Trois mois ?

 » Nous rebâtirons Notre-Dame plus belle encore. Je veux que ce soit achevé en cinq années ».

Les experts parlaient eux d’un chantier de 10 à 20 ans. Emmanuel Macron, Jupiterien, s’est pris pour Cléopâtre. Les financements vont certes grandement l’aider. Mais malheureusement il n’a à sa disposition ni Astérix, ni Obélix, ni de potion magique. Alors comment réussir ce miracle? La reconstruction de Notre Dame sera technologique, numérique.

Pour son jeu Assassin’s Creed Unity sorti en 2014, Ubisoft a reconstitué minutieusement la cathédrale. Pendant 2 ans, une équipe de 3 personnes s’est penchée sur la modélisation utilisant documents historiques, gravures d’époque donnant un rendu hyper-réaliste dans le jeu. Les fans ont immédiatement pensé que ce travail de reconstitution numérique pourrait aider à la reconstruction. L’histoire était belle mais la reconstitution 3D réalisée par Ubisoft n’est malheureusement pas suffisamment précise et réaliste.

Notre Dame dans le jeu Assassin’s creed d’Ubisoft

En revanche, des experts passionnés ont réalisé des relevés numériques extrêmement précis de la cathédrale qui seront d’une aide précieuse par la reconstruction de Notre Dame. L’article des cahiers techniques du bâtiment à ce sujet est passionnant. Gaël Hamon dirigeant de l’entreprise Art Graphique et Patrimoine spécialisée dans les relevés 3D des monuments historiques y explique «Nous avons plusieurs pièces du puzzle prises depuis 25 ans que nous sommes en train de rassembler afin de constituer la maquette en nuages de points de la cathédrale, et donc la charpente et la flèche, dans son intégralité. »

L’avatar en nuages de points devra ensuite être converti en maquette numérique BIM (building information modeling). Cette maquette permettra de piloter la restauration et pourrait même par exemple servir de base à l’impression 3D des supports des moulages en plomb. Cette combinaison entre la technologie et le savoir-faire incarné par les compagnons du devoir devraient permettre aux bâtisseurs des temps modernes de faire des miracles.

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Reconstruire avec quels matériaux? 

Reste à définir avec quels matériaux reconstruire notamment pour la fameuse charpente, baptisée la « forêt ». Pour les tenants de la tradition, inconcevable de ne pas reconstruire la charpente avec les plus beaux chênes de France. Julien Lecarme responsable de l’Institut de la charpente et de la construction bois des Compagnons du devoir l’affirme « reconstruire à l’identique, c’est un travail important, difficile, mais loin d’être insurmontable. On a le savoir-faire. » Il ajoute « ce serait un contresens historique de ne pas avoir de matières renouvelables au XXIe siècle pour restaurer un ouvrage du XIIIe siècle. »

Mais le défi est d’envergure. Il faut trouver 1300 chênes, faire sécher le bois et ensuite reconstruire « la forêt ». Possible mais difficilement compatible avec le défi d’une reconstruction de Notre Dame en 5 ans lancé par le Président. Pour les modernes, la charpente demeure invisible aux yeux du public. Il ne faut donc pas se priver d’utiliser d’autres matériaux. Pour que le délai de cinq ans soit tenable, l’architecte Jean-Michel Wilmotte préconise « de remplacer le bois de la charpente et le plomb de la couverture par du métal et du titane d’autant que ça, ça ne brûle pas. »

La charpente n’est qu’une partie du débat sur la reconstruction de Notre Dame. Reconstruire à l’identique ou introduire une touche moderne? Passionnante question à laquelle nous consacrons la dernière partie de cet article. 

L’architecture de Notre Dame : introduire une part d’architecture moderne?

La flèche de Notre Dame

Les meilleurs experts vous le diront : se poser dès maintenant la question de la reconstruction de Notre Dame est extrêmement prématuré. On ne connaît pas encore l’étendue exacte des dégâts, la solidité réelle des parties ayant échappé aux flammes (le pignon du transept nord et une partie de la tour sud restent fragiles et pourraient entraîner dans leur chute le pignon central triangulaire entre les deux tours). Sans compter le temps de séchage après que des millions de mètres cubes d’eau aient permis d’éteindre le brasier.

Mais la France est un pays de débat. Il est donc bien naturel que très vite se pose la question de la façon dont nous devons reconstruire. Puisqu’il a été décidé de reconstruire. Intéressant d’ailleurs : le feu n’était pas éteint qu’on évoquait déjà la reconstruction. Ainsi Paris, la France ne sauraient se passer de Notre Dame. Cela n’a pas toujours été le cas. Avant que Victor Hugo ne s’empare du sujet et se fasse un ardent défenseur de la cathédrale, l’hypothèse de sa destruction pure et simple avait été évoquée.

C’est Victor Hugo, puis Prosper Mérimée (inspecteur général des bâtiments historiques) et surtout Eugène Violet-Le Duc qui ont relancé la cathédrale. Ce dernier accompagné de Jean-Baptiste Lassus en a fait un symbole du gothique, redonnant au bâtiment une architecture symbolique d’un passé peut-être un peu imaginaire et idéalisé. On était alors en pleine période de réhabilitation du Moyen Age.

Lancement d’un concours d’architecture

Mais alors, pareil ou pas pareil ? Certains estiment que, comme les cathédrales sont des juxtapositions de périodes architecturales, il est nécessaire de laisser visible des traces de l’incendie. D’autres se posent la question de l’intérêt d’utiliser une forêt de chênes pour refaire une charpente que personne ne voit. D’autres encore estiment que les normes de sécurité actuelles ne permettront pas de rebâtir à l’identique. Et de toute façon, il n’y a pas assez de compagnons du devoir. Par ailleurs il paraîtrait judicieux d’utiliser des matériaux plus modernes, pourquoi pas de faire de Notre Dame un monument éco-responsable avec un toit végétal. C’est le gros avantage du concours d’architecture qui vient d’être lancé : tout est permis.

 

Son issue dépendra de l’orientation qu’on voudra donner à cette reconstruction. Sera-t-elle la représentation d’une cathédrale du Moyen-Âge telle que nous l’avons vu dans nos livres d’histoire ? Ou bien deviendra-t-elle le symbole de l’innovation, de la prouesse technique telle qu’elle fut à son origine finalement où les meilleurs artisans de la période contribuaient à la construction des cathédrales. Cette deuxième solution porte le risque que le résultat ne soit plus complètement conforme aux standards médiévaux que nous imaginons.

On le voit dans ce débat, il y a un côté technique et philosophique. Cela devrait un peu nous occuper dans les années à venir. En attendant les tour operators doivent repenser leurs circuits parisiens, les mariniers doivent changer la bande-son qui décrit les monuments dans les bateaux-mouche et la RATP doit recalculer tous ses horaires depuis que la ligne 4 ne marque plus l’arrêt à Cité. La bonne nouvelle, c’est que tout doit être prêt pour les J.O. de 2024 ! Alors l’architecture discipline olympique ?

 

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