Bavière : costumes traditionnels, retour à la tradition ou repli identitaire?

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Munich Bavière promenade dans la ville. Les costumes traditionnels en Bavière sont devenus un véritables phénomènes. Personne n’en portait il y a 20 ans. Aujourd’hui, les serveurs et les serveuses de la plupart des restaurants en sont vêtus. Les boutiques de « Trachten » (costumes) bavarois se comptent par dizaine à commencer par l’étonnant Steindl Trachten. Quelques jours plus tard, au bord du Tegernsee, un lac au sud de la Bavière : une jeune femme portant un voile islamique commande une glace dans un restaurant à une serveuse vêtue d’un Dirndl au décolleté pigeonnant. Étonnant contraste : je vous propose d’explorer ce qu’il révèle de la Bavière d’aujourd’hui.

Lexique du costume bavarois traditionnel

Tracht : en français costume, est le terme qui désigne l’ensemble des costumes traditionnels en Allemagne qu’ils soient masculins ou féminins. On parlera ainsi de Trachtenmode

Dirndl : c’est la tenue typique bavaroise pour les femmes. C’est une version modernisée du vêtement traditionnel des paysannes des Alpes. Il se compose d’une jupe, d’un tablier, d’un corsage et d’un corselet

Lederhose : la fameuse culotte de peau bavaroise pour les hommes, à l’origine coupée dans du cuir de cerf. Quand le Lederhose est de sortie, le Trachtenhut le chapeau bavarois ou tyrolien n’est jamais bien loin. 

 

Culotte de peau : costume bavarois

Bavière, Allemagne chronologie des événements récents sur les sujets migratoires et identitaires

– Septembre 2015 : Angela Merkel décide d’ouvrir massivement les frontières allemandes pour accueillir les migrants
– Décembre 2015 : des agressions sexuelles ont lieu à la gare de Cologne menées par des groupes d’immigrés
– Juillet 2016 : un kamikaze d’origine syrienne se fait exploser dans un restaurant à Ansbach en Bavière
– Décembre 2016 : un attentat islamiste au marché de Noël de Berlin fait 12 victimes
– Avril 2017 : référendum en Turquie sur l’extension des pouvoirs du Président. La diaspora turque allemande apporte un soutien massif à Erdogan votant à 63% pour le oui (contre 51% de oui en Turquie)
– Septembre 2017 : élections fédérales, les 2 partis traditionnels CDU/CSU & SPD connaissent un revers électoral historique en raison du sujet de l’immigration. L’AfD parti d’extrême droite obtient plus de 10% des voix
– Avril 2018 : Markus Söder, CSU, nouvellement élu Ministre Président de Bavière fait adopter une loi obligeant tous les bâtiments publics à accrocher un crucifix dans leur entrée
– Juillet 2018 : Horst Seehofer leader de la CSU bavaroise et Ministre de l’intérieur menace de démissionner et de faire tomber la coalition si Angela Merkel ne change pas radicalement sa politique migratoire

 

Bavière : le phénomène des costumes traditionnels

Nous déambulions dans Neuhauser Strasse la grande rue commerçante de Munich au milieu de boutiques toutes plus originales les unes que les autres : H&M, Apple, Intersport, C&A, Desigual, Adidas… Au milieu de ces enseignes mondialisées, un village résiste à l’envahisseur. Steindl Trachten propose sur une surface de vente imposante une offre complète de costumes traditionnels de Bavière. Imaginerait-on un magasin proposant exclusivement des tenues de bigoudènes dans la principale rue commerçante de Rennes? Comme tous les autres magasins, il ne désemplit pas.

A l’image d’une marque de mode, Steindl Trachten développe de nouvelles collections, crée de nouveaux modèles et organise des défilés. La marque s’appuie sur une communication léchée mais volontairement décalée qui m’a bien fait rire (voir visuel ci-dessous). Elle joue à la fois sur la dérision autour des codes de la mode avec ses vrais-faux défilés de mannequins en Dirndl et des codes de la culture traditionnelle bavaroiseSteindl Trachten : magasin de costumes traditionnels

Je pensais que ce magasin existait depuis toujours à Munich. J’ai découvert avec surprise qu’il avait ouvert en 2003. Les costumes traditionnels avaient largement disparu de la circulation en Bavière jusqu’aux années 2000 .  Aujourd’hui la majorité des participants à l’Oktoberfest, la célèbre fête de la bière munichoise, s’habillent pour l’occasion en costume traditionnel. Ça n’était pas du tout le cas, il y a 20 ans. Le retour en grâce du costume traditionnel bavarois est donc récent.

Des magazines de costumes traditionnels par dizaines à Munich et en Bavière

C’est aujourd’hui un véritable phénomène. Les magasins de « Trachten » se comptent par dizaines dans la ville de Munich. Les serveuses comme les serveurs dans la plupart des restaurants sont habillées avec ces costumes. Chaque année au moment de l’Oktoberfest, les grandes chaines de magasin ouvrent des rayons spéciaux et proposent à leurs clients des solutions clé en main « Trachten Komplett Sets » avec la culotte de cuir, bretelles, la chemise à carreaux, les chaussettes et les chaussures.

Mais derrière son côté éminemment sympathique, le Dirndl a une histoire sombre. Il a dans sa forme moderne été inventé pendant l’époque nazie par la styliste Gertrud Pesendorfer. Le Dirndl traditionnel avait un col fermé. Pesendorfer l’a remplacé par un décolleté dégagé. Les longues manches furent coupées. Elle a également créé la taille lacée et boutonnée. Comme l’explique un article du Berliner Zeitung repris par Slate.fr, elle a en quelque sorte décatholisé le Dirndl traditionnel pour en faire un vêtement « érotisé ». Hitler, lui-même adepte du port du Lederhose, a abondamment utilisé le Dirndl comme image de propagande de la femme allemande idéale.

Bavière : des tensions croissantes autour des questions migratoires et identitaires

Ce phénomène des costumes traditionnels est concomitant avec la montée du communautarisme en Allemagne. L’Allemagne a mal à son islam. C’est encore plus vrai en Bavière. En septembre 2015, Angela Merkel décide dans un enthousiasme général d’ouvrir massivement les frontières de l’Allemagne aux migrants. 3 ans plus tard et après avoir accueilli 1 million de réfugiés, l’opinion publique allemande s’est massivement retournée. L’affaire des agressions sexuelles à la gare de Cologne en décembre 2015 puis une série d’attentats islamistes ont semé un doute profond au sein de la population allemande.

La crispation vis-à-vis de l’islam est particulièrement importante en Bavière. Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland pourrait y faire une percée majeure lors des élections du mois d’octobre. Il y est crédité de près de 15% des voix. Face à cette percée, les chrétiens démocrates de la CSU au pouvoir en Bavière depuis des décennies ont particulièrement raidi leurs positions.

Horst Seehofer patron de la CSU et également Ministre de l’Intérieur a ainsi déclaré récemment : « Non. L’islam n’a pas sa place en Allemagne. L’Allemagne est marquée par le christianisme. Le dimanche chômé, les jours fériés chrétiens et les rituels comme Pâques, la Pentecôte ou Noël en font partie». En juin, il Seehofer menaçait Angela Merkel de faire chuter la coalition gouvernementale en démissionnant sauf inflexion de la politique migratoire de l’Allemagne. Il n’a pour l’instant pas mis sa menace à exécution.

Surenchères au niveau de la CSU

Au niveau régional, Markus Söder, Ministre-Président de Bavière (également CSU) a pris au mois d’avril comme première mesure après son élection l’adoption d’une loi obligeant tous les bâtiments publics de la région à accrocher un crucifix dans leur entrée à compter du 1er juin provoquant une très forte controverse. Les premières à exprimer leurs réserves vis-à-vis de cette initiative ont d’ailleurs été les Eglises elles-mêmes, choquées par les arguments brandis par M. Söder pour justifier sa décision. Mgr Ludwig Schick, archevêque de Bamberg au nord de la Bavière, a ainsi mis en garde contre une mauvaise compréhension du symbole. «La croix n’est pas un signe d’identité d’un pays ou d’un Etat».

La CSU adore les « Trachten ». Elle propose dans sa boutique en ligne aux côtés des classiques T-shirt toute une gamme d’accessoires Trachten pour compléter une tenue traditionnelle bavaroise. Ça n’est guère surprenant et il n’y a rien de mal à cela. Il ne propose pas encore de tests ADN pour tester ses origines bavaroises.

Mais dans le contexte actuel, le phénomène costumes traditionnels, avec l’affirmation identitaire qu’il porte, prête moins à sourire. « Les vents mauvais à nouveau se lèvent sur l’Europe » déclarait Emmanuel Macron lors de l’entrée de Simone Veil au Panthéon. Souhaitons qu’après l’Italie, la prochaine bourrasque ne vienne pas de Bavière. Affaire à suivre au mois d’octobre avec le résultat des élections régionales bavaroises.

 

Mise à jour du 14/10/2018 : revers électoral pour la CSU aux élections régionales en Bavière

Comme prévu, la CSU a essuyé un sérieux revers électoral aux élections régionales de Bavière. Avec 35% des voix, elle perd près de 12% par rapport aux précédentes élections et surtout la majorité absolue. Mais le vainqueur de cette élection n’est pas celui que l’on croit. Le parti d’extrême droite Alternativ für Deutschland progresse certes avec 11% des voix mais on est loin des 15% donnés par les sondages cet été. Ce sont les Verts avec 19% des voix qui récoltent les fruits d’une campagne ouvertement pro-européenne. Le virage populiste des frères ennemis de la CSU Seehofer / Söder aura donc été sanctionné par une grande partie des électeurs. Plutôt une bonne nouvelle pour Angela Merkel et surtout pour l’Europe.

3 commentaires
  1. Ben dit

    Merci pour cette analyse sérieuse sur un ton humoristique !

  2. Pascal V dit

    À mettre en perspective avec l’article du Monde sur la « des-érotisation » de la relation homme femme en Allemagne dans la vie de tous les jours, plus avancée que dans les pays latins. Je ne vois pas comment les féministes allemandes peuvent apprécier le neo Dirndl. Je me demande si le neo Dirndl ne reflète pas non seulement l’abandon sans nuance du Multikultu, mais aussi une mode qui laisse plus de place à l’érotisme à l’ancienne teinté de machisme gentillet, ce qui serait également le signe d’une forme de réaction contre cette des-érotisation de la relation homme femme qui a caractérisé les sociétés occidentales depuis les années 1980.

    1. Ban500 dit

      Merci Pascal pour ce commentaire. Je n’ai pas choisi comme angle de l’article l’image de la femme que véhicule le Dirndl. Il y aurait aussi beaucoup à dire là-dessus…. Je pense qu’il n’y a pas que les féministes allemandes qui ne peuvent apprécier le néo Dirndl. Fais le test chez toi… Ci-joint le lien vers l’article dont tu parles : https://www.lemonde.fr/series-d-ete-2018-long-format/article/2018/08/08/la-drague-triste-en-allemagne_5340562_5325928.html

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